mardi 31 juillet 2012

JOUR 45 : CARRION - SAHAGUN

41km - Temps de marche : 8h15


"Santa Clara" Carrion - Selfpic - Canon G12

"There's definitely, definitely, definitely no logic to human behavior,
But yet so, yet so irresistible..."
Björk - "Human behavior"


"COMPORTEMENTS HUMAINS"
Je découvre un côté de la solitude troublant et interessant ces derniers jours. Depuis que l'idée de faire le pèlerinage de St Jacques est ancrée dans mon esprit je me suis toujours vu marcher en solitaire, satisfait d'avoir enfin le temps de savourer ma seule personne, avec ce qu'elle a de bon, de mauvais et d'inconnu. 
En arrivant au Puy en ce premier soir de Juin, je m'étais vite rendu compte que ce serait tout sauf une aventure en solo. Je me suis ouvert à l'idée des autres et j'ai découvert avec plaisir une vision de l'humanité bien différente du quotidien. 
Le pèlerinage créé des liens entre des gens qui ne se seraient probablement jamais adressés la parole en d'autres circonstances. Et s'ils l'avaient fait, ils n'auraient certainement pas eu des conversations telles qu'on peut les avoir avec de parfaits inconnus sur le chemin de Compostelle. Cette route se marche en commun, qu'on le veuille ou non, et elle nous lie intimement aux autres en stimulant un instinct social oublié, enfoui en chacun de nous dans la zone de l'imaginaire, muselé par nos réflexes défensifs de citadins.


"Rebecca, Ben & moi, Max au repos"
Selfpic - GoPro2
C'est comme ça que je me suis fait des amis, quelques jours après l'arrivée en Espagne. Deux amis d'aventure pour être plus précis, et des habitudes de "groupe" se sont installées entre nous depuis une semaine, au delà du réel plaisir de leur compagnie.
Elles me sautent aux yeux maintenant. Ces habitudes sont nées de choses particulièrement familières. Elles sont si humaines et rassurantes qu'elles s'installent d'elles-même, jour après jour, à notre insu. 


J'ai rencontré bien du monde déjà sur le chemin, des rencontres fortes, mais jamais je ne m'étais considéré "accompagné" comme c'est le cas ici.
Sans forcément marcher ensemble, nous avons malgré tout adopté le même rythme. Et le "Tu marches jusqu'où aujourd'hui?" s'est transformé en "On s'arrête où ce soir ?". En quelques jours, nous avons protégé notre "groupe" sans même nous en rendre compte en occupant des lits voisins, prévoyant les arrêts du soir, choisissant les restaurants ensemble et règlant nos heures de départ matinal simultanément.
"Protégé" est bien le mot. Une protection sociale de chacun liée à la survie du clan, car le Camino établi un étrange rapport entre ses marcheurs. De part leur nombre, chacun noyé au sein de la masse y perd son identité sociale. Alors nous cherchons spontanément à nous rassembler en groupe plus petit, vital à l'échelle individuelle, par intérêt ou par affinités. Ce phénomène est l'image à échelle réduite de la solitude chronique des grandes villes, et se ressent de manière beaucoup plus forte sur la partie espagnole que française.

"Santa Clara albergue pelegrinos" - GoPro2
Mais voilà, paradoxalement cette rassurante niche me gène car elle ne me permet plus d'être seul. Je marche seul certes, mais mes "amis" sont maintenant partie prenante de mon quotidien sur le chemin. Du coup mon "groupe" me vole cette instrospection si chère au voyage. Je ressens un manque de "me, myself and I". Je n'arrive plus à écrire, et je suis arrêté à la station-service de ma route intérieure depuis quelques jours.  
Et si je me noyais à nouveau dans la masse ? Pour l'expérience, pour me sentir perdu à nouveau et reprendre ainsi ma route. Si je les abandonnais, pour voir si ils me manquent... 

Hier matin à Carrion, sacs sur le dos, tous trois prêts à partir pour une nouvelle étape, je décide de quitter le groupe en restant ici pour la journée. Sur le chemin personne ne justifie d'aller plus ou moins vite. Un partenaire de route ne l'est que pour quelques heures, une soirée ou le temps d'une pause, rarement plus. C'est comme ça. Alors je les regarde partir sans un mot, en pensant avoir fait le bon choix. Même si déjà je sens cette étrange angoisse de ne plus avoir de personnes repères à mes côtés, ni pour aujourd'hui, ni pour ce soir, ni même peut être pour le reste du voyage. La sensation est instantanée, réelle, elle me procure un mélange étrange de liberté et de tristesse.

D'espoir aussi, car malgré moi une idée s'est installée durant cette journée, et là je crois que l'instinct humain passe au dessus de l'esprit d'analyse. L'espoir de les revoir. Et en reprenant la route ce matin je me suis rendu compte que cet espoir s'était ajouté aux ingrédients de ma détermination. Je ne marche pas plus vite, mais un peu plus loin. Je me convainc que ma moyenne kilometrique augmente par habitude, mais je sais qu'il y a un peu de cette autre chose. L'espoir prend forme dans les regards acérés que je jette à chaque groupe de marcheurs que je vois depuis, essayant d'y voir un visage familier. 

Je me demande si cet espoir de peut être les revoir ne me plait pas plus encore que de réellement les retrouver. Si l'espoir fait vivre alors parfois n'est-il pas mieux de continuer à l'entretenir plutôt que d'atteindre l'objectif dont il est le sujet ? 
Je marche toujours plus, chaque jour, seul, et l'espoir est toujours là. Il est bon, stimulant, vivant. Alors j'espère ne pas les revoir...

Buen Camino à Max et Rebecca...

"Ecluse espagnole" - GoPro2

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