« Such is the way of the world, you can never know,
Just where to put all your faith, and how will it grow…”
Eddie Vedder – “Rise”
Ma dernière nuit en
Espagne fut agitée. Dans une « pension » miteuse à Irun, j’ai passé
les heures à me retourner sur moi-même, comme si j’essayais de repartir à l’assaut
de Compostelle, mes rêves mélangés de noir, de lumière, de terre, de vent, de
chaud et de froid. Au bout de ma nuit malgré les 6 heures du matin, je suis
parti roder en ville pour un café, attendant de rendre la voiture côté espagnol
avant de passer la frontière et revenir chez mes concitoyens.
"St Bruno" Cartuja de Miraflores, Brugos |
Arrivé à Hendaye,
je loue une nouvelle voiture et rejoins Narbonne en une longue journée pour y
passer la nuit. Sur cette autoroute ruisselante sous la canicule, je ne compte
pas une seconde sans penser à ce que j’ai accompli. Tout semble être allé si
vite que je me demande presque si je l’ai vraiment vécu. Alors chaque instant est
passé à dresser une barrière fragile contre l’inévitable, à grand coup de
souvenirs, d’images et d’émotions. Mais c’est bien terminé, le voyage est fini
et plus rien ne sera prétexte à laisser ici cette voiture, jeter mon sac sur
mon dos et rependre la voie de l’Ouest par la première langue de terre venue.
Je dois accepter. Pas tout de suite, mais je le dois…
Un hôtel pour VRP sans
charme, plein à craquer de touristes ne sachant plus comment trouver de la
place dans la région en cette mi-aout surpeuplée.
Un hôtel normal, en sortie de
ville, zone d’activités. Bondé et pourtant tellement… vide. Mes deux premières
nuits hors du « chemin », dans des lits confortables et chambres
solo, et pourtant j’y dors plus mal que dans les gites les plus bondés du
Camino de Santiago.
Voiture larguée à
Montpellier ce matin, et retour au réel, le vrai, l’ambiance à la française. Ca
râle, ça piaille, ça se bouscule, ça court. Pourtant je passe au ralenti dans
la gare comme un fantôme, soit d’être trop visible soit de ne pas l’être assez.
Tatoué, en treillis et débardeur, barbu comme un clodo, sac sur le dos, bâton à
la main et lunettes de soleil comme rempart aux regards, je sens que les gens
m’évitent, et je ne fais rien pour aller à eux. Furtif, je redeviens cet Olivier
méfiant et associable dans la fourmilière urbaine, troublé et stressé par manque
d’habitude de cette foule grouillante. Le retour de Compostelle est aussi
social, et sur ce point-là non plus il ne sera pas facile. La boule dans le
ventre, évaporée depuis mon départ, est elle aussi de retour pour me le
rappeler…
"Roncevaux" Selfpic GoPro2 |
C’est de mon train que
j’écris ces lignes, les dernières de mon état de pèlerin de Compostelle. Un de
ces vieux « Corail » remaquillés en « Téoz » pour nous
faire croire que la modernité n’a pas de prix. Désuet, improbable engin de
transport dont tout le monde se fout tellement il est banal. Et pourtant il
roule et me fait passer plus de kilomètres en 4 heures que je n’en aurai faits
en 4 jours de marche. Montpellier est derrière moi, prochaine étape, la gare de
Cannes. Une arrivée que je ne réalise pas encore tant je me laisse porter depuis
quelques jours, plongé dans mes pensées. On dit qu’il ne faut pas résister au
courant dans un torrent au risque de se noyer, alors c’est ce que je fais ici.
Je me laisse prendre par le courant, jusqu’à mon retour chez moi…
Je reconnais cette côte
sauvage du Sud-Est, et les roches rouges du massif de l’Esterel plongent en
arrêtes saillantes dans l’eau turquoise de la Méditerranée. Au bout de la ligne,
après le golf de Mandelieu, je vais descendre de ce train en gare de Cannes, et
ce milieu d’après-midi me verra reprendre ma vie.
Celle que j’ai laissée il y a
plus de deux mois en pensant revenir juste plus fort, augmenté et satisfait. Ces
trois émotions sont certes bien là, mais elles ne sont pas seules. Une ou
plusieurs autres, que je n’arrive pas encore à définir, se terrent derrière ma
conscience, et je ne sais encore à quoi j’ai à faire.
Un peu inquiet devant d’inconnus
sentiments, je préfère garder la porte fermée vers ce que je ne suis peut-être
pas prêt à affronter, ou à reconnaitre. Ce doit être pour cela que j’ai besoin
de temps, alors je ne cherche pas trop loin aujourd’hui. J’ai appris la
simplicité durant mon pèlerinage, alors je dois prendre mon retour avec simplicité...
Elle est là qui m’attend
en gare, cette partie de mon nouveau livre sentimental que j’accepte
farouchement d’ouvrir peu à peu, et se jette à mon cou avec plus de conviction que
je ne l’aurai jamais pensé. Et c’est son soulagement si vrai qui donne vie au
mien, alors je monte en voiture à ses côtés plus rassuré de mon retour.
Aujourd’hui tout me manque, et rien à la fois. Je suis fatigué mais reposé à la
fois. Je veux rentrer mais continuer à la fois. Je suis triste mais content à
la fois. La dualité de chaque émotion est telle que la balance de mes humeurs
est à l'équilibre, et pour la première fois depuis que mes pieds se sont
arrêtés sur cette falaise du Cap Finisterre, je reprends mon souffle.
Je suis
parti deux mois, c’est peu dans toute une vie, mais je sens intimement être
parti plus loin et plus longtemps qu’une montre ou un calendrier ne pourront jamais
le montrer.
Alors aujourd’hui me voici rentré, et c’est autre chemin qui commence…
Voici sous vos yeux la fin de mon voyage vers Compostelle, mais ce n'est pas ici la fin de mon journal. Des pensées, projets, remerciements, bien des choses doivent encore être dites...
Merci à tous de m'avoir suivi si loin.