lundi 27 août 2012

RETOUR & MISES A JOUR

Me voici rentré depuis quelques jours maintenant et entre affaires personnelles et professionnelles la reprise prend tout mon temps. Je n'ai pas pu trouver l'espace ni le calme nécessaire à l'écriture depuis, mais je mettrais mon journal à jour durant a semaine, de mon arrivée à Santiago jusqu'à mon retour au "monde".

Merci de m'avoir suivi et de continuer à me lire, je ne pensais pas qu'autant d'âmes se poseraient sur mes mots.

A bientôt.
  

samedi 11 août 2012

JOUR 56 : SAN MARCOS - SANTIAGO DE COMPOSTELLA

5km - Temps de marche : trop court...


"Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible étoile
Telle est ma quête, suivre l'étoile...
"

Jacques Brel - "La Quête"

"Deus adjuva nos" - GoPro2
"SANTIAGO"
Suis-je un fantôme ? Comme désincarné, ce ne sont pas mes jambes qui avancent, ce ne sont pas mes yeux qui voient ni mes poumons qui respirent. Mon âme remplace ma chair fatiguée et se faufile comme un souffle parmi les rues de Santiago en ce dernier matin d'espoir. Elle touche du bout des sens les murs de la ville sainte, cette âme qui seule peut voir au delà des kilomètres et sentir le parfum de la victoire. 
Atteindre le coeur de la ville, le coeur de sa cathédrale, le coeur du voyage, et se fondre en cette matière d'histoire et de croyance, toucher enfin la foi pour ce qu'elle m'offre : l'accomplissement. 

Arrivé à 7h, seul sur l'immense place devant la cathédrale, j'oublie le temps et l'espace. Et dans un état second j'entre comme un automate dans la demeure finale de Saint Jacques, comme si j'y étais déjà venu, dans cette vie ou une autre. Je sens l'endroit familier d'avoir tant espéré cet instant, et mes pas me guident instinctivement vers un minuscule couloir descendant sous l'autel, où je me glisse dans un espace fortifié ne pouvant contenir plus de 5 personnes. Là une grille ouvragée donne sur une étroite ouverture...

"St Jacques" - GoPro2
C'est ici, la fin du voyage. Là où mes yeux et mon coeur, comme ceux de millions d'autres, se posent sur le tombeau de Saint Jacques. Dans cet écrin étincelant, brulant de mille feux d'argent, repose ce corps décomposé appartenant à l'éternité liturgique. Peut être Jacques n'est-il qu'un mythe, une légende. Mais si c'est le cas peut être est-ce la ferveur de ces millions d'âmes perdues sur le chemin de leur propre existence qui lui donnent une vie après la mort. Car il n'y a aucun doute que c'est pour cette part de lui en nous que nous parcourons ces kilomètres. Pas besoin d'être croyant pour ressentir cela, tout comme Jacques fût homme avant d'être Saint.




Tout est tellement intense ici que les ressentis touchent l'âme. Alors que la mienne donne du mouvement, je ne peux plus contenir sa réalité et là, sous les fondations de la cathédrale, mon corps ne retient plus l'émotion. Je m'écroule dans un coin de la minuscule crypte et je pleure mes larmes, mon sang, ma sueur, ma douleur, mon bonheur. Seul, avec un sentiment plus fort que tout. Celui d'avoir compris ce que j'étais, ce que je faisais, ce qu'il fallait espérer, ce qu'il fallait accomplir...

"Rituals"- GoPro2
Je sors, étrangement léger et je tombe sur mes compagnons de route, Max, Rebecca et Ben. Nous savourons ce plaisir commun, ce soulagement de l'accomplissement et cette satisfaction d'être arrivés. Parmi des centaines d'autres, toujours plus nombreux alors qu'arrive la mi-journée, nous entrons à nouveau dans la cathédrale pour la bénédiction des pèlerins. Je me mets un peu à l'écart dans la foule et là, au delà de tout esprit critique, de toute incrédulité, j'ouvre mon esprit au rituel immense qui nous est offert. L'encensoir monstrueux est allumé, balancé haut de part et d'autre du transept, et les prêtres psalmodient leur office comme s'ils cherchaient la transe. Chacun, ici et maintenant, vibre à l'unisson des autres dans ce temps arrêté. Alors parce que je vibre aussi je m'accorde d'écouter la parole d'un Dieu, pour cette fois seulement, et pour cette "foi" seulement...


Je ne peux pas voir en quelques minutes, arrivé au terme de ma quête, la construction faite de ces semaines de marche, de ces heures de reflexion, point culminant d'années à courir après mes rêves. Il faudra encore marcher, d'une manière ou d'une autre, pour laisser le temps m'expliquer le sens de tout cela, doucement, pour que j'en comprenne chaque élément du mieux possible.
Mais au moins aujourd'hui ai-je compris que ma quête à un but. Il n'est pas nécessaire de le connaitre au départ, il faut juste sentir son appel et y répondre. C'est pour cela que je suis parti et que je suis allé au bout...

Sorti de la cathédrale, je reviens à des réalités plus administratives en découvrant l'étrange bureau des pèlerins. C'est là qu'on remet, à longueur de journée pour de longues files d'attente, la Compostella. Ce document très officiel est la médaille pour laquelle chacun ici se dépasse, celle qui prouvera la marche et l'épreuve accomplie. Celle pour laquelle nous somme tous là. Je m'amuse de la désuetude du papier en latin face à la dimension de ce que chacun d'entre venons de vivre, et le sourire aux lèvre je m'assoie en terrasse pour un "cafe con leche" bien mérité. Je savoure de pouvoir revenir à la simplicité de cette terrasse, me sentant déchargé d'un poids immense, et je m'abandonne à la satisfaction. Enfin, je me repose...

Alors certes je suis arrivé à Santiago et mon voyage spirituel est accompli, mais je n'arrêtes pas là. Un autre chemin m'attend, car dès cet après-midi je reprend la route. Maintenant se précise l'après, et pour sentir la fin du voyage je marche encore 3 jours, direction Cap Finisterre, jusqu'à l'atlantique. C'est seulement là que mes jambes arrêteront leur marche, car alors je serais à la fin du monde...


"Fantastic 4" - GoPro2


  

vendredi 10 août 2012

JOUR 55 : ARZUA - SAN MARCOS

35km - Temps de marche : 6h45



"UNE AUTRE EPREUVE"
Seul dans cette moiteur propre au mois d'aout, je profites encore de cet incroyable ciel espagnol, dont la part nocturne vaut bien la diurne tant les étoiles sont intenses jusqu'au levé du jour. Sur cette route qui serpente je calcule le temps et les jours me restant jusqu'à mon objectif, la source de toute cette aventure. Santiago n'est plus qu'à un jour de marche après celui-ci et mes sentiments n'auront jamais été si partagés durant mon périple.
Me voici au seuil de cet ville emblématique, 55 jours après mon premier pas, ce pas innocent et vierge de toutes les douleurs de la route.  Et ce qu'elle m'inspire est au delà des kilomètres, de la sueur, des nuits trop courtes et des heures de marche. 

Santiago est un symbole plus qu'une ville, et je ne sais comment se fera dans mon esprit la jonction entre le geographique  et le spirituel lorsque mes yeux se poseront sur la cathédrale tombale du saint évangelisateur d'Espagne. 


Pour le moment, le mot qui me vient à l'esprit est désarroi. Son sentiment me tenaille et sa poigne se renforce au fil des heures, car je réalise que j'arrive au bout de mon pèlerinage. Je suis troublé par ces forces qui s'opposent en moi, l'une me tirant vers l'avant plus encore chaque jours mais l'autre me retenant sur ce chemin, pour retarder l'échéance de sa fin. Demain je serais arrivé, car me voici à San Marcos. C'est l'ultime village avant Santiago, distant de 5km seulement. Depuis les hauteurs du Monte Do Gozo je devine les faubourg de la ville sainte. Les tours de sa cathédrale sont encore invisibles mais je les visualise déjà intérieurement, qui abritent le tombeau de Jacques le Majeur. Dans un ultime effort pour freiner le temps qui passe et les kilomètres qui défilent je me suis imposé cet arrêt pour savourer encore un peu la distance, imaginer cette dernière nuit et faire comme si le voyage ne touchait pas à sa fin.

"Km 13" - GoPro2
Bien sur je n'arrêtes pas physiquement là, puisque je pousse mon périple jusqu'à Fisterra, qui se trouve à 3 jours de marche de Santiago. Mais ici se trouve cette "étoile" pour laquelle j'ai traversé France et Espagne d'Est en Ouest, sur plus de 1600km. Les proportions me semblent immenses, maintenant que je suis aux portes de la ville...

On me l'avait annoncé déjà en France, une autre épreuve m'attends sur le chemin : sa fin. Et depuis quelques jours je construis ma nostalgie d'avance, peut être pour la connaitre un peu déjà avant qu'elle ne me frappe en plein coeur, histoire de voir le coup venir. Elle est accompagnée d'un étrange effet de vide, comme si je me sentais au bord d'un gouffre. Celui de l'inconnu qui m'attend, ne voyant pas encore l'importance que ce pèlerinage aura eu dans ma vie. Car la seule chose dont je sois sûr aujourd'hui, c'est que qu'il y avait un avant et il y aura un après St Jacques. Ensuite viendra la longue digestion de ces deux mois, avec son lot d'analyse, de reflexions, d'espérances et d'illuminations.

Demain mon sac se posera à terre, mes jambes cesseront d'avancer, et je parlerai à ma raison pour lui demander de se taire. Je dirai aussi à mon coeur de laisser mes espérances être à la hauteur de mes attentes. Je serai à Santiago, il devra s'ouvrir et comprendre que c'est là qu'il m'a demandé d'aller. Alors lui et moi pourrons parler de ce que nous sommes devenu par cette aventure d'une vie, passée à marcher vers le tombeau d'un Saint...

"Monte de Gozo" - GoPro2


jeudi 9 août 2012

"C."


"When the earth was still flat, and the clouds made of fire,
And the mountains stretched up to the sky, sometimes higher..."
Hedwig & Angry Inch - "Origin of Love"

Je suis parti depuis presque 2 mois maintenant, et pas une journée ne s'est passée sans que tu sois avec moi. Des journées à replonger dans nos 4 ans, qui semblent avoir duré  4 jours, ou bien l'éternité. Le temps se passe d'horlogerie une fois qu'il appartient aux souvenirs. Sur le chemin, le présent quand à lui s'étire et dure autant qu'on veut. 
Alors j'ai pensé, calculé, imaginé. Je me suis laissé ce temps, pour réfléchir, pour avancer, pour reculer. Puis j'ai écris, effacé, remplacé, inventé des mots, pour trouver la manière idéale d'exprimer cette place que tu as en moi. Pas pour que les autres comprennent, mais pour moi, pour que je pose des lettres sur mes sentiments, sur nous et sur notre histoire. Pour toi aussi peut être, si tu m'entends, si tu me lis, si tu en as besoin.
Je comprends maintenant que je ne peux pas écrire de longues phrases, ni extraire de mes pensées un vocabulaire assez clair et personnel pour qu'en quelques mots notre monde immense soit lisible d'un coup d'oeil. J'ai peur de ne pas avoir assez de "chemin" parcouru, et je sais ne plus en avoir assez devant moi, pour mettre au diapason mes pensées et le sens de mes phrases. Au fil de ma route d'autres perspectives de notre histoire prennent forme, alors ce simple écrit n'est qu'une fenêtre, parmi des milliers d'autres, par laquelle je regarde notre histoire. Lorsque mes sentiments auront pris l'air et que je les aurai regardé droit dans les yeux, je pourrai en ouvrir une autre, puis une autre. Alors s'il le faut j'écrirai encore...

Mais aujourd'hui je ne veux pas faire long, ni toi ni moi n'avons besoin d'un roman. Notre histoire demande plus que de simples mots pour être contée, alors je dois choisir ceux qui auront cette tâche avec justesse.
Cette histoire raconte un nombre incalculables de liens, de compréhensions spontanées, d'attentions identiques aux détails, ceux qui n'existent que pour nous. Elle raconte nos yeux, tournés vers le même horizons, quatres organes comme une seule fenêtre ouverte vers les mêmes univers lointains. Une chimie qui m'attire, ton contact qui guérit, et ce sentiment d'être au bon endroit, avec toi, toujours. Ces moments à décortiquer la vie, à la bouffer sans limites et n'importe comment. Ces moments magiques où nous pouvions partir si loin en restant dans une pièce, parfois sans même un mot. 

Aujourd'hui je marche seul et pourtant mes yeux voient pour deux. Malgré moi, malgré le temps qui passe, cette parcelle de coeur qui est à toi te lie à mes pas et forme ta présence à mes côtés. Elle te donne ces paysages que je contemple, ces émotions que seule toi peux ressentir...
Quelle histoire que la notre. Je la connais par coeur et pourtant je découvre encore son sens. Là encore sur ce chemin elle ne cesse de me toucher, elle baigne ma marche de milles émotions et me dévoile ses subtiles inventions. Elle continue à se délier sous mes yeux, car elle s'est écrite pour nous et que j'apprend encore de ses secrets. Ils m'apprennent ce que je suis, ce que tu es, ce que nous sommes. Ces secrets répondent à mes propres énigmes alors j'écoutes l'écho fidèle de notre histoire et je m'émerveille devant ma chance de l'avoir vécue.

Nous avons protégé autant que possible cette histoire, mais nous l'écrivons aujourd'hui l'un sans l'autre. Dans son infinie douleur notre séparation fait partie de ses chapitres. Fatalité, erreurs, destin... Quel qu'en soit l'auteur, un chapitre obscur n'est pas la fin d'une histoire. Il mérite d'être lu car il prépare l'arrivée de lignes nouvelles, peut être lumineuses, un peu comme la pluie vient après le beau temps. 

Quoi que l'on veuille nous ne sommes plus maitres des lieux maintenant, étant chacun d'un côté de notre histoire. Les lignes à venir seront écrites d'une autre main que la notre. Elle a prit la plume à notre place, aussi nous ne pouvons qu'attendre de découvrir la nature de son inspiration. Nos vies suivent maintenant leur voie respective mais cette histoire est vraie et nos sentiments se connaissent. L'avenir est une page vierge, et de sa blancheur immaculée nait la voie du possible, comme un marque-page glissé là où le livre peut reprendre. 
Je ne sais pas si la vie nous réunira de nouveau, le possible est marié à l'imprévisible. Mais il existe et vibre toujours de cet espoir qui nous a un jour rendus amoureux. Il garde notre monde et sa lumière bien au chaud dans une parcelle de notre coeur, en chacun de nous. "Foreva"...

Love
P.


"Plain paradox" - GoPro2



JOUR 54 : O PORTOS - ARZUA

35km - Temps de marche : 7h


"Lost in time" - Selfpic - GoPro2

"From this distant vantage point, the earth might not seem of particular interest.
But for us it's different : consider again that dot, that's here, that's whom, that's us..."
DMCI - "Future Proof"

"EUX, NOUS, MOI"
Dorénavant je ne peux plus me permettre de ne croire qu'en la providence ou la chance pour trouver où dormir sur le chemin de Compostelle. Même la bonté de celui dont je marche jusqu'à la tombe depuis bientôt 2 mois doit avoir ses limites, et St Jacques a surement d'autres pèlerins à surveiller. Car des pèlerins, il y en a, des centaines même, à perte de vue. Devant, derrière, et d'autres encore devant et derrière eux. 
Depuis 3 jours le Camino prend encore un autre visage. Celui du flot humain qui monte tel une marée de pleine lune et envahi les rivages du chemin historique. Nous sommes en dessous des 100 derniers kilomètres jusqu'à Santiago, et c'est là que se concentrent tout  ceux qui veulent obtenir leur "Compostella", l'attestation finale du pèlerinage. 
S'ajoutent donc aux "vétérans" comme moi ceux qui ne marchent que cette derniere portion. Et il en sort de partout, à toute heure, de 6heures du matin jusqu'à 19 heures, par dizaines. Dans les rues, sur les routes, dans les restaurants. Partout. 
Alors autant dire que ça se bouscule aux portes des "albergues", et on sent que la fréquentation du chemin de Compostelle dépasse maintenant les infrastructures disponibles sur cette partie finale. En moyenne, les auberges et pensions sont completes à partir de 13h/14h, avec saturent de files d'attentes. 
Le spectacle est  surréalistes pour moi, après ces semaines passé presque seul...

"Morning lonesome" - GoPro2
C'est une véritable nouvelle épreuve avant d'arriver à Santiago. Une ultime épreuve, celle de la foule de fidèles qu'il faut "affronter". Chacun reste heureusement agréable sur le chemin, mais en masse ce flot est envahissant, omniprésent, presque menaçant. De toutes nationalités, de tous ages, de tous types, l'échantillon d'humanité est ici exhaustif et je dois apprendre à m'adapter à un monde que j'aurais habituellement fuit au plus vite. Ils sont pourtant comme moi, avec leur vie, leurs espoirs et leurs douleurs, à cumuler des bornes sur ce fil de conscience tendu par la foi, qui mélange le temps et la distance. 
Alors je range mon individualité intransigeante pour en faire abstraction, et je marche pour réfléchir plus vite que cette gigantesque masse mouvante. Faire ce qu'il faut pour dormir sous un toit, même si je suis prêt à tout accepter. 
Car c'est aussi ça la beauté du chemin, se laisser porter par l'imprévu... 


Alors sans répit j'ai marché vite, d'un pas régulier, avec en tout et pour tout 2 pauses café/en-cas jusqu'à Arzua, parfaitement calé dans mes prévisions horaires. Et cela furent 35km payants. Un lit obtenu dans un "albergue" correct en ville, à 13h30 repos est pris et je peux penser à la journée suivante, et surtout à celle d'après. 
Ceci est mon avant-dernier soir avant Santiago, que j'atteindrai samedi matin si tout va bien. Il ne reste maintenant que 38km jusqu'au tombeau mythique de St Jacques le Majeur, frère de St Jean. Après tout ce temps, ces épreuves, ces plaisirs, ces moments seul, ces découvertes, la perspective est troublante. Et surtout terriblement excitante...

"Two of them" - GoPro2
Face à tout cela j'ai l'impression d'avoir rangé mon profil spirituel pour le protéger de tous ces visages, de tous ces mots, de tous ces gens qui au delà de leur personne représente toute une humanité. En route vers un seul but commun, l'énergie qu'ils déploient crée un courant ascendant qui me pousse en avant, qui me traverse et dans lequel j'ai parfois peur de me perdre. Alors je protège mon imaginaire, cette flamme de magie qui n'existe qu'ici, afin que le vent du mouvement des pèlerins ne l'éteigne pas, ne la fasse même pas vaciller. Je me concentre sur la survie, et je garde secrètement caché mon oeil d'enfant, dans l'attente de ce moment où je pourrai poser le regard et mon coeur sur cette cathédrale, à Santiago. 
Là alors je pourrai sentir l'histoire qui nous a tous mené jusque là, et m'y noyer entièrement... 

38 km de Santiago, le bout du voyage, ou presque...

mercredi 8 août 2012

JOUR 53 : SARRIA - O PORTOS

42km - Temps de marche : 11h


"100 KM"
Ca y est, voici les derniers 100km. Seulement. J'ai parcouru plus de 1500km et il me reste à peine 3 jours de marche. C'est énorme et pourtant tellement rien. 
Douce est la relativité lorsqu'elle nous tient la main vers St Jacques de Compostelle...

"Too close..." Selfpic - GoPro2


mardi 7 août 2012

JOUR 52 : O CEBREIRO - SARRIA

40km - Temps de marche : 10h


"Close to the edge, just by a river, 
Seasons will pass you by, I get up, I get down,
Now that it's all over and done, 
Now that you find, now that you're whole..."
Yes - "Close to the edge"


"Conchilla fuente" - GoPro2
"ECRIRE"
Ecrire est un plaisir, un sport, un enjeux, une souffrance. Ecrire c'est transformer les sentiments en image, et mettre des mots sur  ce qu'on ressent permet de faire un instantané de nos émotions à un moment précis. Si les pensées sont éphémères, les écrits restent et prolongent notre vécu pour la postérité, l'histoire ou l'héritage de nos années. Leur lecture est accessible aux autres autant qu'à soi-même, et lorsqu'on y met notre âme se relire offre une perspective souvent étonnante et décalée sur notre vie. Je pourrais me lancer dans un récit de fiction, inventer des histoire, mais présentement mon inspiration vient de ce que je vis et de ce que je vois. 
En partant pour Compostelle je savais que j'aurai beaucoup à écrire car j'avais beaucoup à penser. Mais je quittais le Puy sans savoir si j'y arriverai, en partie par le temps que cela prend. Sur le chemin les journées sont vite remplies. Les longues heures de marche et les devoirs quotidiens qu'elles impliquent une fois l'étape atteinte ne laissent que peu de temps et de force à la gymnastique cérébrale. C'est pour cela que mon journal est décalé, j'ai pris du retard à ne pas pouvoir écrire aussi vite et aussi souvent que je le voudrai.

Ecrire est un accouchement. Je souhaites à d'autres une tâche rédactionnelle plus simple, mais pour moi c'est un effort mental considérable d'arriver à exprimer ce que je veux de la manière la plus juste, tant la langue est riche, tant elle est subtile, et tant il est du coup difficile de mettre des mots sur des émotions. Chaque partie de ce journal me prend des heures devant l'écran, à écrire, effacer, retourner les phrases, sans même savoir si cela sera compréhensible ou agréable en lecture. Ecrire est un don de soi.

"Holy cross" - GoPro2
Mais le temps et le verbe ne sont pas tout. L'écriture ne se donne pas facilement car en plus de devoir être en bonnes conditions, parler à la première personne est un exercice plutôt difficile. Il faut essayer d'être objectif en parlant de soi, ce qui est de principe assez paradoxal. 
Très vite de nombreux travers se glissent entre les lignes et les phrases peuvent tourner à l'orgeuil, la vantardise ou la mythomanie pure et simple. 
Alors si je devais parler de moi, ce serait sans masque, sans timidité déplacée, sans rien cacher. En tâchant d'éviter les pièges du nombrilisme, j'espère exprimer au mieux les choses qui me touchent, bonnes ou mauvaises durant cette aventure.



J'avais décidé que ce serait cette fois dans ma vie, par ce pèlerinage, que je tenais l'occasion de me "livrer", en tâchant d'exprimer mes émotions et sentiments de la manière la plus nue et réelle possible. 
Surtout je voulais essayer de ne pas orienter mes écrits. Je ne devais pas écrire ce que je veux qu'on pense de moi, mais ce que je suis. Pour cela j'ai rangé la peur du regard et des qu'en dira-t-on, j'ai accepté mon orgueil et me suis forcé à faire taire ma pudeur. 
Alors j'ai écris sur ce que je que vis et sur ce que je vois, par une plume qui je l'espère parle d'elle même, sans que la main de mon égo ne lui fasse trop d'avances.

Voilà, ce qui est écrit ici dans ce journal n'est que moi, ni plus ni moins. Est-ce déjà égocentrique de tenir de tels propos ? Question de point de vue je dirai mais en réalité peu importe. Si cet égocentrisme existe, il a le mérite d'apparaitre en ces lignes et de ne pas prétendre à ce que je sois autrement. Alors vous qui me lisez, vous me voyez tel que je suis, autant que je me vois par ce miroir qui me reflète à travers ces mots. Et je me sens soulagé d'enfin baisser ma garde, sans m'inquiéter des opinions positives ou négatives de mes potentiels lecteurs, vous ou moi.

"Bridge " Portomarin - GoPro2
Ais-je écrits pour moi ou pour les autres ? Au final cela importe peu aussi, je me rends compte aujourd'hui que ces mots sont surtout un dialogue avec mes sentiments, et que je n'ai aucune raison de les transformer. 
Pour être soi-même le plus dur est de rester simple finalement, comme l'est la vie sur le chemin de Compostelle... 

lundi 6 août 2012

JOUR 51 : VILLAFRANCA - O CEBREIRO

31km - Temps de marche : 6h


"A soul in tension that's learning to fly
Condition grounded but determined to try..."
Pink Floyd - "Learning to fly"

"Galician grounds" - Selfpic - GoPro2
"GALICIA"
Enfin le retour d'un chemin plus "nature". Cette montée verte dans les montagnes à l'entrée de la Galice me sort des interminables plateaux céréaliers qui défilent sous mes yeux depuis presque 2 semaines. Comme s'il sortait d'une léthargie le chemin prend du mouvement et se tranforme à nouveau. En montant il prend un air presque familier alors que les vallées s'encaissent, que les crètes apparaissent et que l'altitude rafraichit l'air. Depuis mon arrivée en Espagne c'est la première fois que je sens à nouveau un plaisir physique complet à marcher, surement par la similarité du terrain avec celui de mes premières semaines d'aventure en France. Cette végétation, ce chemin qui rétréci et chemine à flanc de montagne. Les yeux prennent de la hauteur et le coeur s'emballe pour l'équivalent espagnol de la Bretagne. 

O Cebreiro. Depuis la naissance du Camino c'est la borne frontière des pèlerins quittant les terres arides pour leur dernière partie de route. Ce minuscule village logé sur la crète la plus haute des montagnes Galiciennes est encore dans son jus médiéval. Impossible de ne pas être pris par la magie et l'authenticité de l'endroit. Enfin presque impossible, l'endroit est convoité et heurseument que notre rythme de marche, à moi et mon "groupe", nous permet d'arriver relativement tôt sur place et de trouver lit pour la nuit. Le nombre de pèlerin semble avoir triplé en 24 heure, et nombreux sont ceux qui ne trouveront pas de place ce soir, l'humble village ne pouvant loger tout le monde. 
Avec le temps changeant et les températures fraiches des hauteurs pas le choix, il leur faut continuer.

"Painted stone" - GoPro2
Cette étape me donne une étrange impression, visiblement partagée par d'autres pèlerins, depuis toujours. Celle d'approcher de la fin, physiquement. Santiago est encore à plusieurs jours de marche mais le changement de paysage donne de la matière aux distances, celle parcourue et celle restante. L'excitation est palpable partout, chez les autres, en moi. Les 100 derniers kilomètres ne sont plus loin et avec plus de 1400km dans les jambes ce chiffre me parait ce soir surréaliste, étrangement désuet, presque ridicule. 
Pourtant il marque mon esprit et j'en dors mal lors de cette nuit en montagne. Ce chiffre est annonciateur d'une mission dont je désire plus que tout l'accomplissement, mais aussi d'une fin de voyage qui se rapproche et que je redoute... 

dimanche 5 août 2012

JOUR 50 : EL ACEBO - VILLAFRANCA

41KM - Temps de marche : 8h30


"We'll meet again, don't know where, don't know when,
But I know we'll meet again, some sunny day..."
Johnny Cash


"COINCIDENCES PART III"


"Another nightwalk"

Je la voulais cette solitude, elle a eu un effet bénéfique sur moi. A nouveau seul je me suis remis à écrire, porté par cette stimulante liberté de penser quand bon me semble, quand ça me prend. 
Cela m'avait manqué ces derniers temps, bien que la compagnie de mon "groupe" soit reposante et me manque un tant soit peu. Malgré tout le manque se confirme agréable. S'il est bon de savoir que quelqu'un pense à vous, il est autant agréable d'avoir quelqu'un à qui penser, et mes amis de marche sont présent dans mon esprit au fil des kilomètres, naturellement. 

Je constate ce fait de l'esprit, indépendant de ma volonté, avec ce plaisir d'analyse qui m'est si cher. Alors j'optimise le manque, j'écris et je marche avec cette question récurente sur leur position par rapport à moi. Sont-ils devant ou derrière moi ? Sans les voir, je ne peux que spéculer, et cette inconnue s'ajoute au plaisir général que je ressens dans cette situation.

Je discutais de ça ce matin avec un pèlerin, capitaine de l'armée US, alors que nous avions le même rythme de marche en direction de Villafranca, une fois passé Ponferrada. comme souvent sur le chemin, tout le monde finit par connaitre tout le monde et lui les avait croisé à 2 ou 3 reprise lors des derniers jours. Eh bien cela était une donnée suffiusante de savoir qu'ils étaient "par là", quelque part, avec toujours ce petit manque stimulé par notre discussion. 
C'est alors qu'en entrant dans Cacabelos à la mi-journée, je tombe sur Max ! En pleine pause déjeuner, il avançais depuis 2 jours avec Ben, un autre jeune soldat US, qui deviendra d'ailleurs le 4eme larron du groupe un peu plus tard. Surprise inattendue, dans laquelle je me suis laissé aller au plaisir de voir un clin d'oeil du "Camino". Et le plaisir disparut de l'espoir fut instantanément remplacé par le plaisir rassurant des retrouvailles. Tout rentrait dans l'ordre, et je comprenais là qu'il y avait un "signe" qu'il fallait analyser. 

D'accord les chances de se revoirs étaient réelles sur ce chemin, où finalement le rythme de chacun se lisse d'un jour sur l'autre et les visages sont vite familiers. Mais tout de même, j'avoue m'en être remis au sort, au destin, à Lui, à n'importe quoi du moment que "ça" montrait le bout de son nez pour voir avec plaisir que les chances existent. Voir que tout ce qui n'est pas prévisible devienne une fois de temps en temps la réalisation du possible. Bref, qu'un espoir livre parfois l'objet pour lequel on le sollicite. C'était aujourd'hui chose faite.

"F4 : Max, moi, Rebecca" Selfpic - GoPro2
Et une bonne nouvelle n'arrive pas (toujours) seule. Il se trouve que Rebecca, lorsque j'ai "fracturé" le trio en début de semaine, a quitté le chemin pour une parenthèse familiale au Portugal. Pur hasard (ou autre chose), elle prit cette décision sans savoir que j'avais coupé les ponts le matin même. Partie plusieurs jours, elle venait d'envoyer un message à Max 1 heure avant que je ne le retrouve pour annoncer son retour sur le Camino ce même jour, à Villafranca, notre étape commune du jour... Notre trio s'était donc séparé complétement, chacun avait suivi un chemin radicalement différent. Temps décalé pour moi et distance différente pour Rebecca alors que Max restait sur la lancée. Et voilà, que pour une raison qui m'échappe et qui me fait revenir sur ce sujet des coincidences, nous nous retrouvions à nouveaux simultanément, contre toute attente, avec un plaisir également partagé.

Belle histoire, belle coincidence. C'est une de plus, qui valide d'autant plus toutes les autres. Alors je reprends la route avec le sourire aux lèvres, content d'avoir rendu justice à mon espoir.

Villafranca, toujours à la flèche...

samedi 4 août 2012

MA MERE


"Mama, oooooh, did'nt mean to make you cry, 
If I'm not back again this time tomorrow,
Carry on, carry on as if nothing really matters..."
Queen - "Bohemian Rhapsody"

Mon père avait du gout, tu étais la plus belle. Evidemment une maman est toujours la plus belle pour le fils qui l'admire. Parce qu'au delà de sa féminité, c'est cet amour, ce don de soi, cette chaleur protectrice et la part du corps qu'elle laisse derrière elle pour construire ce que nous sommes qui la rendent belle. 
Ma mère était la plus belle. Elle n'a fait que moi, et elle m'a tout donné. Je lui doit tout et son aura brille toujours autours de ma vie, à 38 ans. Un fils n'oublie jamais ses heures tendres avec sa mère, il tuerai pour elle. Après tout ce que je lui ai fait subir, pas méchant mais plombé du caractère qu'elle a su me transmettre, je lui doit bien cette chandelle, au moins ces quelques mots que j'ai tant de fois essayé de lui dire une fois adulte. 
Mais il était trop tard, alors que la maturité nécessaire m'aurait permis d'exprimer cette gratitude, elle était déjà dans un autre monde. Le monde noir de la maladie définitive, qui ne laisse pas aux mots reconnaissants d'un fils pour sa mère leur juste place. J'ai parlé, essayé quand même, quitte à ce que mes mots se perdent dans le vent. Mais le voile du désespoir désassemblait mes phrases dans son coeur. Elle m'a toujours aimé, mais ne comprenait plus cet amour et j'ai perdu ma mère durant les 13 dernières années de sa vie. 

Cette maladie je ne saurai la nommer, les médecins eux-même ont toujours eu du mal à lui donner un seul visage. Un lymphôme cérébral oui, découvert 3 ans après les premiers symptômes, mais les dérèglements étaient partout, détruisant corps et âme. Alors vinrent les traitements, distribués depuis 2000 comme autant de coups d'épée, lancés au hasard pour toucher un ennemi dans le noir. Toutes ces tentatives, ces faux espoirs, ces diagnostics effrayants. Toutes ces rassurantes solutions établies finalement pour la seule conscience de médecins trop orgeuilleux pour reconnaitre qu'ils n'y comprenaient rien. Je ne suis même pas sûr de leur en vouloir, la science a ses limites et leur orgeuil n'en a pas. Avec de telles cartes la bataille contre la maladie ne peut alors pas être toujours gagnée.
Chimios, radiothérapies, traitements expérimentaux, cumuls d'ordonnances, encore, et encore, durant des mois, des années, jusqu'à ce qu'on dise "Stop". Jusqu'à épuisement. Le dommage collatéral fut évidemment gigantesque, et nous ne saurons jamais si c'est la maladie qui t'a détruite ou l'empoisonnement curatif. Ces dizaines de pilules par jour. Pour te guérir peut être, ou un peu, ou pas du tout... 

En 10 ans ton corps à vieilli en accéléré. A 60 ans tu en paraissait 80 en mauvais état. Plus de lymphôme apparent mais tout était déréglé, comme si chaque engrenage de ton corps avait pris un jeu qui se répercutait sur les suivants. L'hormonal, le nerveux, le musculaire, le digestif, tout n'était que non-sens dans ce corps en déroute.  Tu était devenue aveugle et de toutes les souffrances la dépendance que cela implique fût la plus intolérable. Toi ma mère, une patronne en force, étincellante de vie, de sourire et de féminité, tu n'as jamais accepté ce handicap. Tu as lutté contre tout les choses et les gens qui ne pouvaient être à ta place pour te comprendre. Ta bataille contre la maladie t'a épuisé et vidé de ton essence, et cette trahison du corps fut fatale à ton esprit. Petit à petit il s'est enfermé dans la dépression puis dans la démence, aigri du refus d'être. Heureusement ou malheureusement pour toi, ton instinct de survie t'empêchait de commettre l'irréparable, mais je sais que cette vie n'en était plus une, ni pour toi ni pour papa. Vaillamment vous avez lutté, car l'espoir fait vivre n'est-ce pas ? Surtout quand il ne reste plus que l'amour pour lui trouver un sens.

Ce que je vois de tout cela, c'est un long cri du corps. Peut être par peur de vieillir a-t-il décidé de te trahir puis de faire durer la fin, je ne sais pas. Ce corps fuyant m'a enlevé ma mère, et dans ta psychose incurable tu n'étais plus que l'ombre de toi-même. C'était toi, mais ce n'était pas toi à la fois, et seuls ceux qui t'ont cotoyé durant ces années démentes ont saisi l'ampleur du drame psychologique que tu vivais, que nous vivions. Certains n'ont pas compris et t'ont abandonnée, d'autres n'ont pas eu la force de te voir changer. Je n'en veux à personne. Chacun de tes proches, famille et amis, a été dévasté par le spectacle, troublé et impuissant, ils t'admiraient tant. Ils t'ont perdu 2 fois : quand la maladie t'as enlevé l'esprit, puis quand le temps t'a enlevé la vie, alors comprends leur peine.
Papa quand à lui fut ce héro qui n'a cessé de lutter et a tout laissé pour que tu vive. Il a encaissé toutes les souffrances qu'un homme puisse subir par amour, sans jamais se plaindre, sans jamais faillir. Il en est mort. Votre vie est la plus belle histoire d'amour qu'on puisse écrire.    
J'ai repris son flambeau et fais ce que j'ai pu pour te maintenir. Puis au printemps 2010  ton corps a décidé d'en finir, alors j'ai décidé d'arrêter tes souffrances. Lorsque le diagnostic est tombé j'ai pris la décision de ne pas faire traiter cette ultime tumeur apparue sur tes reins.

Tu as rejoins papa en ce doux mois de Mai 2010. J'étais à ton chevet lorsque tu m'a accordé raison et que tu as rendu ton dernier souffle. Je t'ai laissé partir le coeur léger car ce soupir de mort fut celui de ta liberté, et que je garde en moi l'image immaculée de ma mère, la vraie, la seule. Toi et papa m'avez offert une vie privilégiée, et ma reconnaissance reste sans limites. Alors pour moi la maladie n'a pas gagné, car tu es complète à nouveau dans mon coeur et mes souvenirs. 
Reposes en paix mon amour de mère, personne d'autre que toi ne le mérite autant...
Love.

A Michelle Laizé, 1943 - 2010
"One mother" - GoPro2

vendredi 3 août 2012

JOUR 48 : VIRGEN DEL CAMINO - ASTORGA

40km - Temps de marche : 8h30


"Astorga's gate" - Selfpic - GoPro2

"I live through guidance, I got no shirt, no pants, no shoes.
I'm a stronger force, the wind, the sea, even the earth defend I,
I'm just living I life..."
Countryman - Original soundtrack


"A SIMPLE LIFE"
Marcher. Voilà tout ce que j'ai à faire, chaque jour, chaque heure, depuis des semaines. Tout le reste de ma vie tourne autours de cette activité, et tient dans un sac. Elle consiste à revenir à l'essentiel : arriver à l'étape, prendre une douche, laver mes affaires du jour à la main, souffler seul en écrivant ou passer un peu de temps en compagnie d'autres marcheurs devant une bière, ou deux. 
Je surveille mon corps et mon matériel et si nécessaire je répare, je change, je soigne. Et le soir, il s'agit de manger ce qu'il y aura de plus consistant et bénéfique pour le lendemain, avant de m'allonger entre 21h et 22h pour ne pas sentir le sommeil m'emporter tant la fatigue est saine, tant elle prend sa place sans contestations. 

"Gaudi's dream", Astorga - GoPro2
Une vie au plus simple qui a l'étrange faculté de révéler le fond de chacun sur ce chemin. Certaines personne adaptées au quotidien des villes, du travail, du social, se révèle mal élevée, paniquées, mal à l'aise ou perdues une fois au prises avec les choses les plus simples. D'autres montrent de vrais trésors d'ingéniosité, une capacité inattendue à aider les autres ou à se sortir de situation conflictuelles. Surtout, et c'est assez paradoxal, c'est cette vie simple, au jour le jour, qui nous oblige à nous dépasser à chaque instant, pour mettre un pied devant l'autre, pour savoir ou dormir, pour ne pas marcher dans des habits importables, pour supporter les autres d'une auberge à l'autre.
Cette vie simple nous montre notre vrai caractère. Sur le chemin on ne peut plus se cacher, car la simplicité ne porte pas de masque. Et comme un voyage à deux peut révéler le bon ou le mauvais d'une personne, chacun peut se découvrir une force ou une faiblesse. 

"Virgen" - GoPro2
C'est aussi cette vie simple où l'effort est survie qui nous fait réfléchir au sens des choses. Alors que nous vivons dans le confort et la sécurité, nous nous enfermons dans l'expectative et la peur de les perdre. Faut-il pour autant tout laisser pour un sac à dos et quelques auberges. Pour ma part c'est non. Par contre, peut être que garder en tête que ce confort et cette sécurité ne sont pas une fin en soi peut aider à ne pas en être trop dépendant. 

Vivre Compostelle est un bonheur nu, vide de tout ce qui ne nous sert pas à nous lever le matin pour marcher encore. Le superficiel n'y est qu'une chaude pensée, et comme tel il reste léger à nos esprits, libres de rêver à ce qu'était notre vie avant notre départ. 



Ma vie va-t-elle changer à mon retour ? Non, mais certaines choses, matérielles et cérébrales, y auront retrouvé je l'espère une valeur plus juste. Car le dénuement nous lave des traces laissées par ce que nous pensons être indispensable. L'indispensable, celui que nous rangeons par erreur dans le quotidien de nos vies modernes, c'est  cette fenêtre dans notre tête qui nous offre un paysage de liberté. C'est cette capacité, à portée de notre volonté, à découvrir de nouveaux d'horizons, à être ce que sommes au delà de ce qu'on nous dit d'être, à prendre un sac et partir sur un chemin... 

Me voici à Astorga, aux portes de la Galice...


jeudi 2 août 2012

MON PERE


"All that noise and all that sound, all these pieces that got found,
And birds go fly at the speeds of sound, to show you how it all began...
Cold Play - "Speed of sound"

Mon père. Comment écrire ce qu'il est pour moi, tant j'existe par ce qu'il a été, ce qu'il m'a fait découvrir et ce qu'il m'a appris. J'ai peur de ne pas avoir assez de mots ou assez de temps pour écrire l'homme qui a fait ce que je suis. Et me voici ce soir, à l'entrée de la Galice, à 38 ans, après 1500km de marche, à tourner et retourner ce que je sais du language pour achever d'écrire une des plus importante partie de ma vie. Et j'en ai les larmes aux yeux devant mon écran, devant cette tâche insurmontable, tant je lui doit, tant je l'admire, tant je l'aime. Je ne pourrai, au risque d'écrire un roman, imager assez l'immense part de ma vie dont les choix, le sens, l'espoir et le gout d'exister sont l'héritage de mon père.

Du plus loin que remontent mes souvenirs, ils furent teintés de sa présence rassurante, étonnament juste, qui rendait chaque chose plus vraie et fascinante que la précédente. Vivre enfant aux côtés de mon père était comme lire un roman d'aventure, où tout était nouveau, où toutes les histoires étaient merveilleuses et finissaient bien. Avec lui l'horizon n'avait pas de limites, et ma vie n'a été qu'étoiles, voyages, découvertes. 
Grand voyageur, il n'était que récits et sa vie de bohème peut être enviée de beaucoup, tant il a su joindre l'utile et l'agréable, visionnaire dans une époque glorieuse où tout était à faire. Par son métier, qui l'a emmené aux quatre coins du monde, il a su garder un esprit d'enfant qu'il m'a transmis spontanément, simplement, avec justesse et bonté. Ces voyages je les ai fait avec lui, avec ma mère, et j'ai l'immense privilège de pouvoir aujourd'hui regretter ma jeunesse tant elle fut un comble de soleil, d'aventure et d'imaginaire.
Honnêteté, humour, intelligence, tolérance, ce ne sont que des mots mais jamais je ne tarirai d'éloges pour cet homme, ce héro qu'il est à mes yeux.

Je m'adresse à toi maintenant pour te dire, après ces années d'une vie bien remplie aux côtés de la femme qui fût ma mère et qui n'aurait pu être faite pour personne d'autre que toi, comme je suis fier et admiratif de ton courage, de cette force que tu as su trouver en toi lorsque la vie vous a trahi, toi et maman, en cette année 1997. Ces années finales n'ont pas été celles qu'on aurait imaginé, et je garderai à vie une part de rancune légitime envers le sort qui a osé la rendre malade, dépendante, handicapée, tranformée, douloureuse, aveugle. 
Tu as porté à bout de bras sa longue et interminable maladie dégénératrice, tout ce poid inconcevable et inhumain, jusqu'à ce que les forces ne te lâchent et que le cancer ne t'emporte ce 3 decembre 2006. Jamais tu ne t'es plaint, jamais tu n'as demandé d'aide. Chaque jours tu as supporté, encaissé, travaillé pour que maman, la femme de ta vie, continue d'exister malgré ce mal qui rongeait son corps et son esprit. Pendant 9 ans, tu as fait ce qu'aucun autre n'aurait pu accomplir, ce que beaucoup n'ont même pas compris, ceux qui ne savent pas ce qu'est le vrai amour d'un homme pour sa femme... 

Alors malgré cette maladie, qui vous a brisé autant l'un que l'autre, le destin peut crouler d'humiliation car maintenant que votre histoire est figée dans le temps et que vous n'êtes plus de ce monde, il ne peut plus vous enlever cette incomparable vie que vous avez mené ensemble durant 50 ans. Oui sa fin est triste, mais votre histoire est tellement belle que même la mort s'efface devant tant d'amour inconditionnel. "Pour le meilleur et pour le pire"...
Pourquoi cette trahison de la vie ? Faut-il donc payer un jour pour son bonheur ? Voilà bien une question, la seule s'il doit ne m'en rester qu'une, que je poserai lorsque l'heure du jugement aura sonné. Et celui qui devra y répondre à intérêt à avoir de bons arguments, tout divin ou hasard soit-il.

Je tenais simplement ta main ce soir de décembre 2006, quelques heures avant que tu ne rendes ton dernier souffle sur ce lit d'hopital. Cette main identique à la mienne par la magie de l'hérédité, à peine différente d'une génération. Et de cette main, tu m'as transmis ton dernier message. Tu n'étais déjà plus vraiment là depuis des jours, la mort gagnant le négoce de ta peau sur la vie. Mais par cette pression sur mes doigts, ta main qui serre la mienne quelques secondes seulement, j'ai su que c'était un final éclair de conscience, c'était toi. Et voilà ce que j'ai entendu dans ton dernier geste de vivant : "Voici le flambeau dont tu dois préserver la flamme, moi j'arrêtes là. Au revoir on fils..."

J'ai passé la nuit à pleurer les larmes de mon corps et même plus, et ces lourds nuages liberaient leur pluie diluvienne en guise d'oraison funèbre. Je m'abandonnais moi-même en te sentant partir pour toujours. En me saoulant au pied de cet arbre dans l'enceinte de l'hopital, j'étais adossé au batiment à 3 ou 4 mètres de toi, sous ta chambre. La seule allumée parmis toutes ces autres fenêtres opaques, cette chambre dont la lumière ne te réveillerait plus de ton dernier sommeil. 
Je me suis endormi et lorsque qu'un coup de tonnerre a résonné à 5 heures du matin précises, au paroxisme de l'orage nocturne, alors j'ai su. Quand  le téléphone à sonné 15 minutes plus tard, la pluie s'est arrêté et la voix d'infirmière m'a annoncé une nouvelle qui n'en était plus une. Je n'ai pu répondre qu'un "Je sais". Car au delà de mon esprit cartésien, des signes impalpables durant toutes ces heures passées m'avaient déjà annoncé ton départ. 
J'ai quitté les lieux comme une ombre, et en revenant le jour d'après je touchais ton enveloppe vide, inerte et froide sur le lit d'hopital. Ta chair ne voulais plus rien dire, c'est à peine si je te reconnaissais, alors mon esprit t'a laissé partir. Toucher ta mort a été une leçon majeure dans ma nouvelle vie sans toi : faire le deuil, pour ne plus laisser la peur s'installer. Je t'ai laissé, toi mon origine, suivre la logique des choses et j'ai accepté ta mort. Elle a trouvé sa place dans mon histoire alors je n'ai plus pleuré. Tu n'étais plus là mais il n'y avait plus de tristesse à célébrer, car tout cela avait pris un sens fondamental pour moi. 
Ne restait que la tâche à accomplir : continuer à ta place, pour toi, pour elle, pour moi. Ensuite, une fois mon rôle assumé je pourrai, si j'en ai besoin et si je le veux, donner mon temps à la nostalgie et aux souvenirs. Tel que je le fais ici.

Mon père tu as su jusque dans ton dernier moment donner un sens à ma vie, et ta mort fut vécue comme un privilège, un exemple, un espoir. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi et pour elle, ta femme, ma mère. Tu peux reposer en paix, car les étoiles qui peuplent mes souvenir sont toujours devant moi, elles scintillent de ces merveilles que j'ai découvert à tes côtés. Et comme celles de ces innombrables ciels que nous avons contemplé ensemble, elles sont éternelles...
Je t'aime. 

A Michel Laizé, 1938 - 2006

"Santiago" Sto Domingo de Calzada - GoPro2

mercredi 1 août 2012

JOUR 46 : SAHAGUN - MANSILLA DE LAS MULAS

37km - Temps de marche : 9h

"Is He looking?" Selfpic - Canon G12

"LA PEAU SUR LES OS"
Je m'estime plutôt heureux de mon état physique. Je me suis considérablement endurci et depuis la leçon reçue les 13 premiers jours de mon voyage, j'avais compris qu'avancer efficacement sur le chemin de Compostelle demande un savant mélange d'effort et d'entretien de la machine corporelle. Eh bien malgré mon attention quotidenne à écouter le moteur pendant qu'il tourne, j'ai eu droit aujourd'hui à ma première ampoule au pied. Après 45 jours de marche sans aucun problème de côté là, voilà que je sens pointer cette minuscule affection cutanée, hantise de tout marcheur, aussi robuste et experimenté soit-il. Juste sur l'avant de la voute plantaire droite, là où l'appui pour avancer est le plus fort puisqu'il supporte le lever du talon. Pourtant le pied glisse à peine à cet endroit, et je me demande bien ce qui a pu provoquer ce conflit cutané. 

Je m'arrête, j'enlève ma chaussure, et là je comprends. La chaussette. La vache a trahi ma confiance en se trouant pile sur ce point d'appui et de friction. Du coup mon pied glisse sur la surface rugeuse et usée de la semelle depuis le début de la journée, soit 30km environ, et l'inévitable s'est produit. Malgré mon mécontentement, je dois bien lui accorder certains honneurs, la bougresse a isolé mon petit 44 fillette depuis 1300km presque quotidiennement, je ne peux que reconnaitre sa bravoure. M'enfin bon, à 300km de l'arrivée c'est quand même frustrant. 
Alors je me traine jusqu'à Mansilla, avec ce boitement familier donc le rythme me revient spontanément des premiers jours de galère, lorsque les tendinites me déclaraient la guerre... 

"Somewhere nowhere"
GoPro2
Combien en ais-je vu, des jeunes, des vieux, des maniaques du soin et des négligeants convaincus, subir les conséquences de ces petites cavités qui se forment sous l'épiderme là où les frictions sont les plus répétitives. Remplies d'eau, leur inflammation est très douloureuse et rend la marche acrobatique, car il est impossible de prendre appui sur une ampoule. Plus grave, elles sont suceptibles de s'infecter notamment après les avoir vidées de leur eau, il faut donc leur accorder grande attention, et tâcher de s'en débarasser au plus vite.
Le comble, souvent une ampoule oblige à compenser l'angle et on change les  appuis pour éviter de marcher dessus. Du coup d'autres ampoules se forment en cascade sur d'autres endroit du pied, voir des deux pieds. 




En France, vers Espalion, je me rappelle avoir vu un pèlerin rentrer chez lui à cause d'ampoules multiples, infectées, avec risque de complications élevé. 

Alors hors de question de laisser trainer. Remède de grand-mère arrivé en boitant au gite : fil + aiguille (achetés à la mercerie du coin !) et bétadine. Le fil laissé dans l'ampoule la vide son eau sans ouvrir de porte à l'infection, la bétadine plusieurs fois par jours assèchera le tout au plus vite. 
Affaire règlée, ça va déjà mieux, on verra demain...