dimanche 22 juillet 2012

JOUR 36 : TORRES DEL RIO - LOGRONOS

21km - Temps de marche : 4h30


"UN AUTRE CHEMIN"
Suis-je au bon endroit ? Voilà 1 semaine que je suis en espagne, sur la plus ancienne route religieuse et commerciale d'Europe, celle qui déplace les hommes depuis 10 siècles, aux tronçons classée patrimoine mondial de l'Unesco, et voilà que le doute m'attaque par là où je ne l'attendais pas... 
Ce doute est la conséquence d'un sentiment maintenant clair, irréfutable et inattendu : je n'aime pas le "Camino Francès", la partie espagnole du chemin. 

"A nice none" - PHoto Olivier - Canon G12
Les raisons se trouvent à plusieurs niveaux du périple :
-Tracé : à part quelques passages en forêt, le chemin est une bande de terre caillouteuse de largeur fixe, qui longe et parfois emprunte des dizaines de kilomètres de routes. Aucune sensation de vraie nature, c'est essentiellement urbain et agricole. Le tout est diablement monotone, sans surprise et usant tant pour les jambes que pour le moral. 
-Géographie : depuis 10 jours, je traverse des hauts plateaux tapissés de cultures de blé. Du blé, encore du blé, toujours du blé. A peine quelques montées/descentes, pas d'arbre ou peu. Certes il faut beau mais c'est plat, c'est droit, c'est chiant, et ça n'a pas l'air de vouloir changer.
-Gites : en 2 semaines, je suis tombé sur un seul gîte d'anciens pèlerins, qui recoivent avec le coeur. A part ça, des hotel-restaurants sans charme ou des auberges municipales douteuses que j'évite maintenant systématiquement. Même les accueils religieux font du "mass feeding" pour les pèlerins. Un comble, même chez les croyants l'accueil est sans âme. Entrez-dormez-sortez-suivant !
-Les pèlerins : les quoi ? Trop nombreux, trop perdus, trop râleurs, trop illuminés ou pas assez. Je juge et je ne devrais pas. Voyez, moi-même cette partie me rend trop râleur, trop perdu, trop illuminé ou pas assez.
-Alimentation : no comment, on est en espagne. On nous propose systématiquement le menu "Pèlerin", composé de trois plats au choix, tous les mêmes, et ce quel que soit le restaurant et la région. Je mange donc dans des restaurants hors "Camino". Et même là c'est très moyen et le service est souvent nul. Le midi rien d'autre que des sandwichs, on fait vite le tour. Au moins les toilettes sont toujours propres, c'est déjà ça !

Après ce portrait cinglant du "Camino Francès", on pourrait penser que m'arrête à des détails de confort, prétextes à ronchonner pour cacher une fatigue passagère ou un ras-le-bol absolu. C'est vrai que je ne suis pas en vacances là, je fait un pèlerinage et je devrais être plutôt content de trouver toute cette infrastructure le long de la route, ingrat que je suis.

Fontaine à vin (gratuit !) - Irache - GoPro2
Mais à vrai dire ce ne sont pas ces détails qui me font réagir comme ça. Je n'ai pas toujours bien mangé ni dormi en France, et le tracé peut aussi y avoir ses longueurs interminables. 
Non, ce qui transforme ces détails normalement sans importance en points noirs, c'est l'absence d'un ingrédient essentiel, à cause de laquelle le Camino prend un gout fade à mourir. Un ingrédient auquel les pèlerins qui expérimentent le tracé complet, à savoir depuis la France, deviennent accrocs tant ils s'en nourrissent avant l'Espagne. Cet ingrédient s'appelle l'âme. Le "Camino Francès" n'a pas d'âme. Ou peut être qu'il n'en a plus, je ne sais pas, mais il y fait autant froid dans le coeur qu'il fait chaud sous le soleil d'Espagne. 

Je ne parles pas ici de religion, la foi chrétienne a une place qui lui est propre et ceux qui l'entendent trouveront ce qu'ils cherchent. Les institutions religieuses sont bien présentes au fil des étapes, avec notamment les ordres cisterciens et franciscains qui accueillent parfois les pèlerins. Quand aux églises, cathédrales, abbayes et cloitres, ils sont d'une beauté et d'une authenticité rare. A ce titre on peut voir que l'église catholique espagnole dispose encore de richesses certaines, et que les oeuvres artistiques y sont nombreuses et préservées.  

Vianna - GoPro2
Non je parles de cette bulle de magie dans laquelle vous entrez depuis le Puy, et qui s'agrandit sans cesses au fil des journées de marche. Elle se remplit des rencontres qu'on y fait, de la chaleur des accueils, du plaisir de nuits rassurantes et de repas familiaux. Elle se remplit de cette marche hors du temps, sur des sentiers larges comme un cable de funambule, perchés ou encaissés, qui vous laissent parfois seul avec cette vibrante  sensation d'être en équilibre entre une perdition assurée et la découverte d'un trésor. Elle se remplit de ces attentions et de ces signes qui vous font sentir que ce pèlerinage n'est pas important que pour vous. Qu'il l'est aussi pour vos compagnons, pour ceux qui vous accueillent et pour ces milles ans d'histoire que vous perpetuez en marchant à votre tour. 

Et de la sensation d'être au bout du monde, d'être au bout de soi-même, nait cette lumière qui danse dans le regard des pèlerins des voies françaises. Le chemin par son début est profondément humain, et divinement cérébral. 

Alors que s'est-il passé ? Comment, et surtout pourquoi, un changement si radical est-il possible ? Est-ce moi qui ai placé la barre trop haut en partant ? 
Plusieurs fois j'ai entendu des pèlerins avouer le même désarroi une fois passée la frontière espagnole. Certains même ont arrêté et sont rentré chez eux sans se poser plus de questions, déçus par ce paradoxal manque d'humanité.
Pour ma part, une fois passé le "choc" des cultures les premiers jours, mon avis prend une nouvelle tournure et je commence à trouver interressant ce changement radical. Je lui donne même un sens plus important que je ne l'aurai pensé jusque là.
En fait, je m'en rend compte maintenant, le "Camino Francès", cet entonnoir final vers la tombe de Saint Jacques à Compostelle, n'est pas "moins bien" que la partie française. Non le Camino est juste différent. Il fonctionne autrement, et comme pour la voie du Puy il faut y trouver sa place et s'adapter à son monde. Inversement, les voies de France n'auraient d'aileurs pas de raison d'être si elles ne se joignaient pas au Camino. 

Alors certes je n'aime pas cette partie, elle ne satisfait ni mon imaginaire ni mon tempérament. Mais elle est tout aussi interressante par l'effort de volonté et d'humilité qu'il faut fournir pour y avancer. Se fondre dans la masse, se fondre dans l'histoire, et éprouver sa détermination pour encore grandir, comprendre et avancer. Une autre voie vers un chemin intérieur.
Alors j'embrasse autant ce "Camino" que son homologue français, justement parce que je ne l'aime pas. Je me plie à ses exigences, j'avance sur ses routes et mon apprentissage avance. Le chemin de France est un monde magique et préservé, celui d'Espagne est moderne et réel. Je vois clair maintenant : les deux se complètent parfaitement pour ne faire qu'un, alors mon exploration continue...

"Field of stones" - Photo Olivier - GoPro2

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