mardi 3 juillet 2012

JOUR 17 : Bach (Les Moulins) - Cahors

28km - T. de marche 7h30



"Hello darkness my old friend,
I've come to talk with you again, 
Because a vision softly creeping..."
Simon & Garfunkel "Sound of Silence"



"DEMONS"
Il me reste une trentaine de kilomètres à parcourir pour arriver à Cahors, et au feeling je me sens une petite marche de nuit. Vu avec mon hôte, qui me prépare de quoi manger sur la route, je me couche vers 21h, réveil prévu pour 3h15 du matin. Le temps est  dégagé et je veux être au plus tard à 4 heures sur la route. Pour profiter de la nuit, de sa fraicheur et de ses secrets...


"Darkself" - Selfpic
J'ai toujours aimé la nuit et les sensations qui la peuplent. Elle stimule l'imagination et ébranle nos certitudes. Face à elle, une partie de nos peurs d'enfant remontent délicieusement, avec une force différente. 
L'instinct remplace la raison, le sens de la vue baissant est secondé par l'ouïe, plus fine et attentive. Mais les bruits habituels deviennent inhabituels dans la pénombre. 
Tout comme les objets, les formes et les choses les plus banales changent de visage. On en voit même qui n'existent pas... 


La nuit l'esprit, l'impalpable, le fantasme, le philosophique, le religieux même, avalent la réalité et nous la vomissent en spasmes violents au détour d'un virage, sous la forme d'une bête qu'on croit voir ou entendre l'instant d'une seconde. Et la nuit est élastique, une seconde s'étire en une minute, une minute devient 1 heure, 100 mètres en font 1000. 

Une réalité qui nous échappe et qui perd son sens solide. Réalité dans laquelle l'émerveillement se partage le premier rang avec le cauchemard. En spectateurs de nos angoisses primaires les deux se gaussent de notre désespoir d'être parti trop tôt dans la nuit, ou trop tard, et se nourissent de notre impatience de voir le jour libérateur faire fuir ces rêves inconstants.

Je marche dans ce long couloir forestier depuis 1 heure, fait d'arbres, de talus de pierre moussus, de toiles d'araignées tendues de part et d'autre de la large voie dont je ne voit jamais le bout, ni devant ni derrière. Nous sommes pourtant une nuit de pleine lune mais la cime dense des arbres étouffe toute lumière lunaire, et me laisse seul dans le noir d'encre du chemin avec ma lampe frontale pour seul repère. Parti à 4h pile du chaleureux gite proche de Bach, j'affronte la nuit, partant de rase campagne vers forêt dense, pour sentir ma victoire sur sa noirceur, au prix d'une lourde bataille contre les habitants qui la hantent. 
La nuit libère ses animaux nocturnes, non identifiables, leurs yeux brillants comme des flammes fixes dans la lumière de ma lampe. Je les croises discretement du regards et les laisse à leurs occupations nocturnes. Leurs voix inaudibles la journée transforment la forêt en  caisse de résonnance au coeur de la nuit, jusqu'à en devenir assourdissantes. Et pourtant c'est le silence le grand maitre du bal. Comme un chef d'orchestre il arrête la partition de voix animales d'un coup de baguette, et tombe sur la forêt comme une chape de plomb en enlevant ce qu'il y restait de bruits et de vie...

"Night signs" - Photo Olivier
C'est alors que la nuit se peuple d'autres créatures, plus dangereuses, plus intelligentes, plus primales. Elles sortent des ombres sur le bord du chemin, d'un bruit sourd au loin, d'un battement de coeur qui s'accélère.
En marchant j'imagine hors du halo de ma lampe, blottis derrières moi, ces être sombres sans visage me suivre en file indienne. Ils peuplent la forêt, mais ils sont surtout à moi. Leurs pas dans les miens je n'ose pas me retourner, de peur que ce geste ne les rende réels. Les imaginer est plus fort, moins décevant, presque moins effrayant que de trouver le vide en jetant ma lumière derriere moi. Alors je les laisse marcher, mes démons et créatures de la nuit, en silence, et je sens presque leur reste d'âme froide contre ma nuque. Ils ne me dévorent pas parce qu'ils seraient alors perdus pour toujours, ils se contentent d'accélérer mes pas, de me pousser plus profondément dans la forêt. Je me sens avancer avec un délicieux désespoir dans le noir, sentant leur besoin d'exister dans mes veines. Je les laisse profiter de ma lumière car s'ils sont si noirs et lourds d'angoisse c'est peut être parce qu'ils n'en ont pas d'autre à suivre à part la mienne.
Notre esprit est-il plus alerte la nuit, lorsqu'on est perdu loin de toute chaleur humaine, à 4h du matin dans la forêt ? Si alerte qu'il voit et sent vraiment des choses que le jour renvoi à l'irréel ? Ou bien ne créons nous pas nous même ces démons comme des garde-fous, expressions de nos culpabilités, de nos échecs, de nos peurs du vide, de la mort et de la vie ? 

La nuit a ça de bon qu'elle voit en nous comme en plein jour, et la nuit nos peurs nous invitent à danser avec nos démons. Alors je danse avec eux jusqu'au lever du jour, je ne voudrais pas les fâcher...

"Sleepless in Cahors" - Selfpic - GoPro2



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