dimanche 24 juin 2012

JOUR 8 : Aubrac - Abbaye de Bonneval

27km - T. de marche : 8h30



"We scale the face of reason,
To find at least one sign, 
That could reveal the true dimension,
Of life..."
Dead Can Dance - "Anywhere out in the world"


"FAITH"
La voilà enfin. L'abbaye cistercienne de Bonneval apparait tout d'un coup sur le versant opposé de la colline abrupte et boisée sur laquelle je sue sang et eau depuis bientot 3 heures. Vision presque surréaliste après un tel déluge d'efforts et de doutes. Marchant à l'instinct sur la corniche forestière de la vallée de Bonneval,  je cumule les pas en automatique. Je  n'existe plus. Les minutes, les heures se mélangent, et je suis entre deux mondes alors que la fièvre monte, fruit d'une bronchite montante, des douleurs tendineuses, des efforts, du soleil, de la désorientation, des centaines de piqûres d'orties... 


"Out there", Abbaye de Bonneval - Photo Olivier - GoPro2

Je suis parti depuis plus de 8 heures de Aubrac ce matin, et je crois avoir enfin eu ce que je cherchais, un chemin seul et perdu. Un gout d'abandon, une parcelle de route "à l'ancienne". Entre le village d'Aubrac  et l'abbaye, il n'y a rien sur 27km. Du tout. Quelques fermes, un café d'un autre temps à  Condom d'Aubrac, j'ai croisé en tout et pour tout 4 personnes dans la journée. 
Tout le reste ne fut que sentiers invisibles légués à l'abandon. Des chemins sur lesquels les sensations se relaient et se mélangent en permanence : perte, émerveillement, excitation, désespoir. Une fenêtre sur ce qu'on du ressentir des milliers de pèlerins durant 10 siècles, en des temps moins lumineux, en poussant leurs pas sur des terres inconnues. 
Seuls avec leur foi ou leur volonté pour guide.


"Wood & stones" - Photo Olivier - GoPro2

Enfin un minuscule panneau indique un improbable sentier vers l'Hospitalité Bonneval. Je n'y croyais plus. La tête bourdonnante je me jette dans l'à-pic rocheux et glissant. Mes jambes ne me retiennent plus et je n'évite même plus les branches, les ronces et le houx, pour sortir à la limite de la chute au pied de l'abbaye, 100 mètres plus bas sur le versant opposé. Je suis transi, suant, sale, saignant, douloureux, fiévreux et épuisé, mais content.

L'abbaye de Bonneval est un cloitre de soeurs cisterciennes. L'ordre est voué à un ascetisme minuté et reclus, les soeurs cloitrées n'ayant aucun contact avec le monde exterieur. Aujourd'hui les chemins qui y mènent par la forêt ne sont plus fréquentés. Quelques paroissiens d'Espalion, la jolie ville "d'en bas", et des touristes attirés par le calme y montent par la route. L'abbaye est également un lieu de retraite périodique pour des croyants en quête de solitude. 
Les hôtes de Bonneval sont donc d'autant plus sensibles à ceux qui bravent leurs doutes et la forêt pour y trouver le gîte. L'accueil des pèlerin est une vocation, et je suis reçu aimablement par l'une d'entre elles qui me guide à travers l'imposant batiment. Jusqu'au couvent ou je vais passer une nuit houleuse de songes étranges dans ma petite chambre austère...

"Why don't you come inside?" - Photo Olivier - goPro2
"Chrisme" - Photo Olivier - Canon G12
Il n'y a pas lieu de vouloir toujours tout expliquer et rationnaliser. Parfois il faut laisser l'esprit savoir qu'il n'est pas toujours le seul maitre à bord, un peu comme on lache le guidon d'un vélo pour voir si on tient l'équilibre. Mais qu'il est bon ce frisson lorsqu'on troque le cartésien pour l'irrationnel. 
Croire que ce qu'on voit n'est pas matière inerte mais enveloppe habitée peut mener à toutes les formes de pensées spirituelles. Et même sans convictions religieuses arriver à Bonneval est au-delà des émotions habituelles, tant la nature du lieu est destinée à la croyance et à ceux qui la vivent. Alors je lache prise et m'ouvre à cette foi qui n'est pas mienne, avec un peu de méfiance tant elle semble être ici ancienne, coulée dans les murs, omniprésente. 

Je prends place pour les "vèpres" dans l'église de l'abbaye et j'attend, curieux de voir ce que le rituel cistercien peut bien faire pour mes plaies, physiques comme morales.  
C'est alors que l'air s'emplit d'une vibration, d'une "présence". Ce sont les soeurs. Elles chantent d'une seule voix des cantiques traditionnels, et leurs voix cristallines sous les coupoles de "la maison de dieu" sont d'une perfection... divine. Je ne suis même plus là, les voix m'emportent et je perd notion du temps, notion d'espace.
Si Dieu a quelque chose à voir avec la beauté, alors cet instant est une parfaite expression de sa lumière. Tant le lieu, les chants et la foi de mes hôtes reflètent ce qui ne semble exister que par le fruit d'une impalpable alchimie celeste. 

Transi, je sors au radar de l'église, mange une soupe avec les hospitalière et monte dans ma chambre pour sombrer dans un sommeil lourd et agité.
A mon réveil je ne suis pas guéri de mes plaies, mais je suis loin d'elles. Toujours malade, je me sens malgré tout étonnament en forme pour mon état, et je choisi de prendre une journée de repos à Espalion pour terminer cette "réparation" bien méritée. Je redescend en ville pour un retour à une vie plus terre à terre.

Cette étape, de part mon "épreuve" pour y arriver, mon état, l'étrange force du lieu et mon ressenti de cette nuit est la plus marquante depuis mon départ sur le chemin de St Jacques. 
A vrai dire un des moment les plus marquant depuis bien longtemps, salvateur et prometteur...

"Sunrise on his son" - Photo Olivier - Canon G12 







3 commentaires:

  1. moi qui suis non croyante , ou si peu, les abbayes cisterciennes me parlent, me touche, specialement celle du Thoronet dans sa sobriété

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  2. Merci ... pour ce délicieux moment de lecture (au second degré j'ai effectué cette lecture: beaucoup d'humour en vous).

    J'habite en face de l'Abbaye de Bonneval et la description que vous faites de votre état et du périple au bord du bord du bord de l'épuisement total me semble le plus justement décrit. Pour avoir récupéré, abreuvé et aidé de nombreux pèlerins à la dérive (chez moi à Cantamesse) et ensuite avoir cheminé en portant leur sac jusqu'à l'Abbaye, je peux vous assurer que vous n'êtes en rien hors du lot mais tous égaux ! Harassés et bien souvent démoralisés. Cette lecture aura été utile. Promis nous allons faire en sorte d'améliorer ce petit chemin qui a jeté "dans l'à-pic rocheux et glissant". Amicalement, Laurence

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  3. http://www.abbaye-bonneval.com

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