vendredi 22 juin 2012

JEROME

"How, how I wish you were here,
We're just two lost souls swimming in a fishbowl,
Year after year..."
Pink Floyd - "Wish you were here"


"JEROME"

C'était un monde meilleur. Un monde de merveilles à la fois simples et excessivement subtiles que nous seuls pouvions voir. Notre monde à nous, dans lequel on ne vieillit pas, dans lequel le temps ne passe pas, où la mort n'existe pas. Toi et moi partagions ces émotions qui se passent même de paroles, par la magie des atomes et de l'amitié. Des minutes, des heures ensemble à sentir que chaque moment était le bon, que nous étions au bon endroit. 
Etant souvent en voyage il se passait parfois 6 mois, voire 1 an sans que nous ne nous croisions. Mais se retrouver pliait le temps et nous étions de nouveaux là, comme si quelques minutes  s'étaient écoulées, avec une sensation de familiarité inexplicable. 
Rien ne nous séparait. Pas une variation d'entente, pas de doute durant toute ces années, et des engueulades d'amis qui soudent plus qu'elles ne divisent. Tu étais mon meilleur ami, mais ce n'était pas de l'amitié. C'était au-delà. Une forme d'amour trop rare pour que j'en comprenne sa nature. Il n'y avait rien à comprendre, il était là, et il emplissait l'univers. Pour toujours.


Ce matin du 17 Avril 1997 la déchirures était presque audible à l'oreille, fatale, irrémédiable. Une fracture intérieure qui déchire l'air comme un tissu que l'on déchire sur toute sa longueur. Ce tissu était ma chair, et mon esprit a cessé de respirer. Tu es accidentellement passé sous ce train en cette fin d'après-midi du 16 Avril, un après-midi banal, où le monde ne tourne ni plus ni moins vite que d'habitude. 
Ta vie s'est arrêtée quelques minutes plus tard, la mienne a changé pour toujours le lendemain, lorsque ma mère m'a annoncé la nouvelle au réveil. Je me rappellerai à jamais ma main se figer, mon sang se glacer, mon esprit se vider et fermer ses portes pour tenter de trouver une parade à ce coup de canon. Pour abattre d'un coup d'épée cette réalité sans nuages devenue subitement une ennemie brutale. Puis en quelques minutes, le temps que cette phrase prenne son sens, mon monde, notre monde, a disparu à tout jamais. Je suis parti un peu avec toi, pour ne jamais revenir.


J'avais 23 ans à cette époque, ma première boutique Tribal Act venait d'ouvrir à Paris quelques jours plus tôt. Je crois que ton départ à ébranlé l'ensemble de ma vie. Ta mort à été un peu la mienne, et j'ai laché prise avec la réalité, mes responsabilité, mes amis, mes ennemis... 
Je n'étais pas prêt, nous étions trop jeune, trop fous et sans limites. Le temps n'avait pas d'emprise sur nous, et pourtant tu étais parti. Alors voilà que le grand compte à rebours vers ma propre mort venait d'être activé par la tienne. J'ai "perdu la foi" ce jour là, et toutes mes certitudes se sont effondrées.


Aujourd'hui je ne sais pas ce que tu aurais été, ce que nous aurions été si tu n'avais pas couru après ce train. Je n'ai pu que renconstruire lentement ma personne avec les années, avec cette frustrante sensation de vide. Et ce sentiment d'en vouloir à une vie qui nous avait vendu de la confiance. 
Je crois que ta mort à eu un impact considérable, elle a sombrement rayonné sur les personnes proches de nous. Ma mère est tombé malade pour toujours  à la même période,  et de bien étranges choses se sont passées ça et là. 
Moi je n'ai eu d'autre choix que de porter cette croix dont je ne voulais pas. Peut être m'est elle utile aujourd'hui. A vrai dire je pense qu'elle l'est surement, sinon tout cela aura été en vain. La suite de ma vie, de mes joies et de mes pertes, je les ai vécu avec ce message de ton départ, comme un vaccin contre la mort qui permet de monter un mur quand il le faut, d'ouvrir une porte quand je le sens...


Tu es parti à 25 ans mon vieil ami, il y a 15 ans cette année. Tu es encore avec moi constamment, à chaque instant. Aujourd'hui encore sur cette route, dans cet air que je respire, dans ce souvenir inoubliable. 
Merci, reposes en paix. Love. 


"Bleeding heart" - Photo Olivier - IPhone

4 commentaires:

  1. Ce ne sont pas ceux qui partent qui souffrent le plus, ce sont ceux qui restent.[Neira José, 04.08.55/22.07.08]

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  2. Comme tes mots résonnent en moi...
    Bonne route.
    Barbara

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  3. En te lisant, je prends conscience que moi aussi ce jour-là quelque chose s'est cassé et je n'ai jamais pu totalement réparer cette blessure. Mais nous avons appris aussi la valeur de la vie et de l'amitié, la vraie, celle qui est aussi forte que l'amour et ne se tarie pas avec le temps malgré l'absence.
    Je pense à vous tous souvent.
    Sylvain

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  4. 15 ans plus tard j'ai encore du mal à assumer, même du mal à lire ton chagrin sans sauter des lignes, pour éviter que le mien ne remonte à la surface, j'ai suffisament souffert comme ça et préfère avancer sans penser, comme un boeuf tire sa charrue le front baissé, imperturbablement.

    Je garde les gens en moi, même si parfois je ne les vois pas pendant longtemps (au risque que les personnes que j'aime se détachent en pensant que je n'en ai rien à foutre), le principal est de savoir qu'ils sont toujours en vie et que, même si la vie n'est pas si facile, ils durent. Mais là, de ne pas voir vieillir Jérome et d'imaginer souvent quelles joies on aurait pu partager et les choses qu'il auaient aimé, les engueulades pour rien, c'est un poid que n'effacent pas les années...

    Je n'ai jamais dit "merci et je vous aime, à ma façon, mais quand même" à mes amis de cette époque, ni à mon frangin, j'aimerais le faire parfois.

    Je pense à vous souvent aussi...


    deg-tcd

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