jeudi 2 août 2012

MON PERE


"All that noise and all that sound, all these pieces that got found,
And birds go fly at the speeds of sound, to show you how it all began...
Cold Play - "Speed of sound"

Mon père. Comment écrire ce qu'il est pour moi, tant j'existe par ce qu'il a été, ce qu'il m'a fait découvrir et ce qu'il m'a appris. J'ai peur de ne pas avoir assez de mots ou assez de temps pour écrire l'homme qui a fait ce que je suis. Et me voici ce soir, à l'entrée de la Galice, à 38 ans, après 1500km de marche, à tourner et retourner ce que je sais du language pour achever d'écrire une des plus importante partie de ma vie. Et j'en ai les larmes aux yeux devant mon écran, devant cette tâche insurmontable, tant je lui doit, tant je l'admire, tant je l'aime. Je ne pourrai, au risque d'écrire un roman, imager assez l'immense part de ma vie dont les choix, le sens, l'espoir et le gout d'exister sont l'héritage de mon père.

Du plus loin que remontent mes souvenirs, ils furent teintés de sa présence rassurante, étonnament juste, qui rendait chaque chose plus vraie et fascinante que la précédente. Vivre enfant aux côtés de mon père était comme lire un roman d'aventure, où tout était nouveau, où toutes les histoires étaient merveilleuses et finissaient bien. Avec lui l'horizon n'avait pas de limites, et ma vie n'a été qu'étoiles, voyages, découvertes. 
Grand voyageur, il n'était que récits et sa vie de bohème peut être enviée de beaucoup, tant il a su joindre l'utile et l'agréable, visionnaire dans une époque glorieuse où tout était à faire. Par son métier, qui l'a emmené aux quatre coins du monde, il a su garder un esprit d'enfant qu'il m'a transmis spontanément, simplement, avec justesse et bonté. Ces voyages je les ai fait avec lui, avec ma mère, et j'ai l'immense privilège de pouvoir aujourd'hui regretter ma jeunesse tant elle fut un comble de soleil, d'aventure et d'imaginaire.
Honnêteté, humour, intelligence, tolérance, ce ne sont que des mots mais jamais je ne tarirai d'éloges pour cet homme, ce héro qu'il est à mes yeux.

Je m'adresse à toi maintenant pour te dire, après ces années d'une vie bien remplie aux côtés de la femme qui fût ma mère et qui n'aurait pu être faite pour personne d'autre que toi, comme je suis fier et admiratif de ton courage, de cette force que tu as su trouver en toi lorsque la vie vous a trahi, toi et maman, en cette année 1997. Ces années finales n'ont pas été celles qu'on aurait imaginé, et je garderai à vie une part de rancune légitime envers le sort qui a osé la rendre malade, dépendante, handicapée, tranformée, douloureuse, aveugle. 
Tu as porté à bout de bras sa longue et interminable maladie dégénératrice, tout ce poid inconcevable et inhumain, jusqu'à ce que les forces ne te lâchent et que le cancer ne t'emporte ce 3 decembre 2006. Jamais tu ne t'es plaint, jamais tu n'as demandé d'aide. Chaque jours tu as supporté, encaissé, travaillé pour que maman, la femme de ta vie, continue d'exister malgré ce mal qui rongeait son corps et son esprit. Pendant 9 ans, tu as fait ce qu'aucun autre n'aurait pu accomplir, ce que beaucoup n'ont même pas compris, ceux qui ne savent pas ce qu'est le vrai amour d'un homme pour sa femme... 

Alors malgré cette maladie, qui vous a brisé autant l'un que l'autre, le destin peut crouler d'humiliation car maintenant que votre histoire est figée dans le temps et que vous n'êtes plus de ce monde, il ne peut plus vous enlever cette incomparable vie que vous avez mené ensemble durant 50 ans. Oui sa fin est triste, mais votre histoire est tellement belle que même la mort s'efface devant tant d'amour inconditionnel. "Pour le meilleur et pour le pire"...
Pourquoi cette trahison de la vie ? Faut-il donc payer un jour pour son bonheur ? Voilà bien une question, la seule s'il doit ne m'en rester qu'une, que je poserai lorsque l'heure du jugement aura sonné. Et celui qui devra y répondre à intérêt à avoir de bons arguments, tout divin ou hasard soit-il.

Je tenais simplement ta main ce soir de décembre 2006, quelques heures avant que tu ne rendes ton dernier souffle sur ce lit d'hopital. Cette main identique à la mienne par la magie de l'hérédité, à peine différente d'une génération. Et de cette main, tu m'as transmis ton dernier message. Tu n'étais déjà plus vraiment là depuis des jours, la mort gagnant le négoce de ta peau sur la vie. Mais par cette pression sur mes doigts, ta main qui serre la mienne quelques secondes seulement, j'ai su que c'était un final éclair de conscience, c'était toi. Et voilà ce que j'ai entendu dans ton dernier geste de vivant : "Voici le flambeau dont tu dois préserver la flamme, moi j'arrêtes là. Au revoir on fils..."

J'ai passé la nuit à pleurer les larmes de mon corps et même plus, et ces lourds nuages liberaient leur pluie diluvienne en guise d'oraison funèbre. Je m'abandonnais moi-même en te sentant partir pour toujours. En me saoulant au pied de cet arbre dans l'enceinte de l'hopital, j'étais adossé au batiment à 3 ou 4 mètres de toi, sous ta chambre. La seule allumée parmis toutes ces autres fenêtres opaques, cette chambre dont la lumière ne te réveillerait plus de ton dernier sommeil. 
Je me suis endormi et lorsque qu'un coup de tonnerre a résonné à 5 heures du matin précises, au paroxisme de l'orage nocturne, alors j'ai su. Quand  le téléphone à sonné 15 minutes plus tard, la pluie s'est arrêté et la voix d'infirmière m'a annoncé une nouvelle qui n'en était plus une. Je n'ai pu répondre qu'un "Je sais". Car au delà de mon esprit cartésien, des signes impalpables durant toutes ces heures passées m'avaient déjà annoncé ton départ. 
J'ai quitté les lieux comme une ombre, et en revenant le jour d'après je touchais ton enveloppe vide, inerte et froide sur le lit d'hopital. Ta chair ne voulais plus rien dire, c'est à peine si je te reconnaissais, alors mon esprit t'a laissé partir. Toucher ta mort a été une leçon majeure dans ma nouvelle vie sans toi : faire le deuil, pour ne plus laisser la peur s'installer. Je t'ai laissé, toi mon origine, suivre la logique des choses et j'ai accepté ta mort. Elle a trouvé sa place dans mon histoire alors je n'ai plus pleuré. Tu n'étais plus là mais il n'y avait plus de tristesse à célébrer, car tout cela avait pris un sens fondamental pour moi. 
Ne restait que la tâche à accomplir : continuer à ta place, pour toi, pour elle, pour moi. Ensuite, une fois mon rôle assumé je pourrai, si j'en ai besoin et si je le veux, donner mon temps à la nostalgie et aux souvenirs. Tel que je le fais ici.

Mon père tu as su jusque dans ton dernier moment donner un sens à ma vie, et ta mort fut vécue comme un privilège, un exemple, un espoir. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi et pour elle, ta femme, ma mère. Tu peux reposer en paix, car les étoiles qui peuplent mes souvenir sont toujours devant moi, elles scintillent de ces merveilles que j'ai découvert à tes côtés. Et comme celles de ces innombrables ciels que nous avons contemplé ensemble, elles sont éternelles...
Je t'aime. 

A Michel Laizé, 1938 - 2006

"Santiago" Sto Domingo de Calzada - GoPro2

3 commentaires:

  1. Bonsoir Olivier
    je suis ton aventure Ta route depuis le début, et là ce post me rapelle une partie de ma vie que je n'aime pas !! perdre des etres chers !! ma cher mon sang, j'ai la gorge qui se serre et j'en ai mal au ventre.Alors je ne peux m'empécher de te raconter mon histoire. Pour moi ça fais déjà 15 ans qu'il est parti, ça faisait 1 mois que j'allais le voir tous les soirs apres le taf et je restais aupres de lui une partie de la nuit. Ce jour là ce fameux jour, je ne sais pas pourquoi et je n'ai toujours pas de réponse, je n'en aurais jamais je pense !! il fallait que j'y aille plustot que prévu , j'ai tout quitter en pleine journée j'ai laissé tout en plan et j'ai pris la route comme une folle a fond la caisse, ça m'obsédé, il fallait que j'y aille je ne pensais qu'a lui et personne n'aurais pu m'arreter, malheureusement il est parti 4 minutes avant que j'arrive, je n'ai pas pu lui dire que je l'aimais qu'il était tout pour moi !! que je lui devais tout !! rien c'étais trop tard !! pourquoi ?? pourquoi ce jour là j'ai su que c'était la fin!! ces "putain" de 4 minutes !!ça ma rongé, ça ma anéantie !! mais il était enfin libéré de ses souffrances et de sa maladie. je n'oublierais jamais ce jour et je ne l'oublierais jamais c'était mon grand père.
    Bon courage Olivier tu ne dois plus etre trés loin il doit te rester 250 km je pense, c'est beaucoup mais aprés tous se que tu as parcouru tous ce que tu as enduré c'est rien !! bonne continuation . P. Karine

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  2. Merci pour tes commentaires, pas toujours facile de confier les parties difficiles et intimes de la vie je te comprends... Merci de ma lire, à bientôt

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  3. Quel bel article, bel hommage. C'est avec les larmes aux yeux que j'ai lu certainss passages. Comment ne pas avoir envie de réagir après cette lecture, parce que c'est un sujet sensible chez moi et que j'admire la chance que tu as eu d'avoir un aussi bon papa.
    Mon père est toujours de ce monde mais nos relations sont ... parfois quasi inexistantes, parfois même comme si nous étions morts l'un pour l'autre.
    Il y a quand même un côté où je m'y retrouve, au tout début de ton texte, le partage. Si il y a bien une chose pour laquelle je lui serais toujours reconnaissante c'est la transmission de sa passion pour l'histoire, l'art et la culture qu'il m'a faite et ce depuis mon enfance.
    C'est avec lui que j'ai voyagé, visité (mes premières églises, châteaux et musées) et appris. Quand mes camarades de classe rentraient tout bronzés de vacances moi je revenais toujours aussi blanche lol et très excitée par les merveilles que j'avais pu voir, malheureusement à l'époque, pas grand monde avec qui partager tout ça. Il est vrai que pour mes "copines" de 12 ans les garçons sont des sujets plus passionnants que les châteaux de la Loire ou les grottes de calcaire en Auvergne :/ .

    Malheureusement derrière tout ça il y a un côté très terne qui se cache. Au delà de ces émerveillements mon père m'a aussi transmis la douleur physique et morale, le sentiment d'abandon, d'être nulle, en dessous de tout, l'auto destruction et un passé familial assez lourd à porter (mais qui est paradoxalement une sacré source d'inspiration dans mon travail et sensibilité d'artiste car j'ai un sacré recul sur ces choses du passé)

    Mais au fond je me dis que si je n'avais pas eu un père comme lui, je ne serai pas l'artiste ni la femme que je suis aujourd'hui. De là à le pardonner et remercier je pense que je n'y suis pas encore arrivée, il me faudra encore du temps et du travail sur moi :) . Même si je sais que le temps passe et qu'un jour je vais me réveiller et apprendre qu'il est "trop tard" pour pardonner. Tant pis je prend le risque, je ne suis pas encore prête.

    Je radote mais en tout cas c'est un réel plaisir de te lire. J'y retourne, mais c'est déjà bientôt fini :( .

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