samedi 11 août 2012

JOUR 56 : SAN MARCOS - SANTIAGO DE COMPOSTELLA

5km - Temps de marche : trop court...


"Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible étoile
Telle est ma quête, suivre l'étoile...
"

Jacques Brel - "La Quête"

"Deus adjuva nos" - GoPro2
"SANTIAGO"
Suis-je un fantôme ? Comme désincarné, ce ne sont pas mes jambes qui avancent, ce ne sont pas mes yeux qui voient ni mes poumons qui respirent. Mon âme remplace ma chair fatiguée et se faufile comme un souffle parmi les rues de Santiago en ce dernier matin d'espoir. Elle touche du bout des sens les murs de la ville sainte, cette âme qui seule peut voir au delà des kilomètres et sentir le parfum de la victoire. 
Atteindre le coeur de la ville, le coeur de sa cathédrale, le coeur du voyage, et se fondre en cette matière d'histoire et de croyance, toucher enfin la foi pour ce qu'elle m'offre : l'accomplissement. 

Arrivé à 7h, seul sur l'immense place devant la cathédrale, j'oublie le temps et l'espace. Et dans un état second j'entre comme un automate dans la demeure finale de Saint Jacques, comme si j'y étais déjà venu, dans cette vie ou une autre. Je sens l'endroit familier d'avoir tant espéré cet instant, et mes pas me guident instinctivement vers un minuscule couloir descendant sous l'autel, où je me glisse dans un espace fortifié ne pouvant contenir plus de 5 personnes. Là une grille ouvragée donne sur une étroite ouverture...

"St Jacques" - GoPro2
C'est ici, la fin du voyage. Là où mes yeux et mon coeur, comme ceux de millions d'autres, se posent sur le tombeau de Saint Jacques. Dans cet écrin étincelant, brulant de mille feux d'argent, repose ce corps décomposé appartenant à l'éternité liturgique. Peut être Jacques n'est-il qu'un mythe, une légende. Mais si c'est le cas peut être est-ce la ferveur de ces millions d'âmes perdues sur le chemin de leur propre existence qui lui donnent une vie après la mort. Car il n'y a aucun doute que c'est pour cette part de lui en nous que nous parcourons ces kilomètres. Pas besoin d'être croyant pour ressentir cela, tout comme Jacques fût homme avant d'être Saint.




Tout est tellement intense ici que les ressentis touchent l'âme. Alors que la mienne donne du mouvement, je ne peux plus contenir sa réalité et là, sous les fondations de la cathédrale, mon corps ne retient plus l'émotion. Je m'écroule dans un coin de la minuscule crypte et je pleure mes larmes, mon sang, ma sueur, ma douleur, mon bonheur. Seul, avec un sentiment plus fort que tout. Celui d'avoir compris ce que j'étais, ce que je faisais, ce qu'il fallait espérer, ce qu'il fallait accomplir...

"Rituals"- GoPro2
Je sors, étrangement léger et je tombe sur mes compagnons de route, Max, Rebecca et Ben. Nous savourons ce plaisir commun, ce soulagement de l'accomplissement et cette satisfaction d'être arrivés. Parmi des centaines d'autres, toujours plus nombreux alors qu'arrive la mi-journée, nous entrons à nouveau dans la cathédrale pour la bénédiction des pèlerins. Je me mets un peu à l'écart dans la foule et là, au delà de tout esprit critique, de toute incrédulité, j'ouvre mon esprit au rituel immense qui nous est offert. L'encensoir monstrueux est allumé, balancé haut de part et d'autre du transept, et les prêtres psalmodient leur office comme s'ils cherchaient la transe. Chacun, ici et maintenant, vibre à l'unisson des autres dans ce temps arrêté. Alors parce que je vibre aussi je m'accorde d'écouter la parole d'un Dieu, pour cette fois seulement, et pour cette "foi" seulement...


Je ne peux pas voir en quelques minutes, arrivé au terme de ma quête, la construction faite de ces semaines de marche, de ces heures de reflexion, point culminant d'années à courir après mes rêves. Il faudra encore marcher, d'une manière ou d'une autre, pour laisser le temps m'expliquer le sens de tout cela, doucement, pour que j'en comprenne chaque élément du mieux possible.
Mais au moins aujourd'hui ai-je compris que ma quête à un but. Il n'est pas nécessaire de le connaitre au départ, il faut juste sentir son appel et y répondre. C'est pour cela que je suis parti et que je suis allé au bout...

Sorti de la cathédrale, je reviens à des réalités plus administratives en découvrant l'étrange bureau des pèlerins. C'est là qu'on remet, à longueur de journée pour de longues files d'attente, la Compostella. Ce document très officiel est la médaille pour laquelle chacun ici se dépasse, celle qui prouvera la marche et l'épreuve accomplie. Celle pour laquelle nous somme tous là. Je m'amuse de la désuetude du papier en latin face à la dimension de ce que chacun d'entre venons de vivre, et le sourire aux lèvre je m'assoie en terrasse pour un "cafe con leche" bien mérité. Je savoure de pouvoir revenir à la simplicité de cette terrasse, me sentant déchargé d'un poids immense, et je m'abandonne à la satisfaction. Enfin, je me repose...

Alors certes je suis arrivé à Santiago et mon voyage spirituel est accompli, mais je n'arrêtes pas là. Un autre chemin m'attend, car dès cet après-midi je reprend la route. Maintenant se précise l'après, et pour sentir la fin du voyage je marche encore 3 jours, direction Cap Finisterre, jusqu'à l'atlantique. C'est seulement là que mes jambes arrêteront leur marche, car alors je serais à la fin du monde...


"Fantastic 4" - GoPro2


  

1 commentaire:

  1. J'ai pris un réel plaisir à suivre ta route à travers tes écrits, tout ça m'a donné matière à réfléchir et à imaginer, tout ça m'a émue...

    Je comprends alors toute la libération et l'accomplissement que tu dois ressentir en arrivant à Santiago.
    Je n'ai jamais vu d'encensoir, mais j'imagine déjà la fascination que je pourrai avoir devant cette fumée, avec l'immense émotions de tout ces gens présents !

    Je t'avais souhaiter bonne route avant que tu partes, je te la souhaite également pour tout ce qui va arriver dans ta vie futur, parce que finalement c'est surement le départ d'une nouvelle route ;)

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