samedi 16 août 2014

JOUR 6 : CABRERET - MARCILHAC SUR CELE



14km – Temps de marche : 5h

« What various paths are followed in distributing honours and possesions,
She gives awards to some and penitent's cloaks to others,
When you expect whistles it's flutes, when you expect flutes it's whistles…”
Dead Can Dance – “Fortune presents gifts not according to the book”




« UN MONDE A PART »

Nous sommes le 31 Aout et je suis chez moi à Cannes, cherchant encore ce qui nous change autant pendant notre course à l’horizon. Car sorti de la variante de Rocamadour et revenu au quotidien je me retrouve à tenter d’en écrire mes souvenirs au prix d’un effort de concentration écrasant, fruit de l’étrange distance qui se pose invariablement entre l’Olivier pèlerin et l’Olivier de tous les jours. C’est un fait : même si l’envie est là il est difficile d’écrire une fois le rythme perdu. 
Inexorablement, ma vie de tous les jours ne laisse pas le temps au dialogue entre mes souvenirs et le clavier, et je regrette fréquemment de n’avoir pas plus l’occasion de lier les deux à nouveaux, en situation de calme et de solitude. Alors que les mots tombent d’eux-mêmes sur le clavier en fin d’étape pour le pèlerin, ils semblent endormis, mélangés, confus pour le vétéran sorti du Chemin qui essaye de rendre fidèlement les ressentis d’un voyage au calme.
"Still there II" Marcilhac - GoPro2 - Olivier
Seules deux petites semaines se sont écoulées depuis mon retour, et je ne suis cette fois-ci parti que sept  jours, mais l’impression de distance entre ces deux mondes est telle que je réalise une fois de plus la difficulté de rationnaliser par des mots le flux d’émotions qui nous envahit durant ces heures de marche au bout du monde. Partir seul un sac sur le dos sur des chemins de traverse, que soit pour sept jours ou deux mois, c’est prendre la voie de l’homme libre en chacun de nous, pour embrasser cette franche coupure dans le déroulement de nos habitudes. Et que ce soit par celle du téléphone ou d’un environnement familier, cette coupure nous jette dans un monde à part où l’instinct devient le principal bagage de notre conscience.





Comment exprimer nos ressentis le plus fidèlement possible, des semaines après l’expérience vécue, alors qu’avec le temps l’esprit fait son travail édulcorant sur notre mémoire. L’émotion est une expérience ponctuelle et éphémère qui s’exprime à chaud, dont les finesses peuvent ensuite être grandies ou gommées selon l’influence du quotidien. Et je réalise à nouveau, comme je l’avais déjà vécu sans en comprendre les rouages après Compostelle il y a deux ans, que cette mécanique de dilution émotive est à la source de ce que notre mémoire nous offre de souvenirs, d’espoirs et de nostalgie.

"Ruins 1" - Marcilhac - GoPro2 par Olivier
Un journal d’étape est cher à ceux pour qui vivre c’est ressentir, mais est-il faux ou tronqué lorsqu’il est écrit des semaines après l’effort ? Je ne crois pas, et peut-être d’ailleurs son contenu en est-il même plus juste avec le regard du recul.
Par contre la nature spontanée d’une émotion ne se marie pas avec le temps, et sa grandeur sauvage n’est palpable qu’au présent. Aussi avons-nous à peine le temps de prendre un stylo en fin d’étape, épuisés et satisfaits de la distance parcourue, pour en décrire toute la chaleur avant qu’elle ne disparaisse en devenant un souvenir…








Aujourd’hui devant l’écran je choisi donc cette réflexion pour illustrer mon journal d’étape, tant elle fait partie du voyage et s’impose à mes souvenirs à postériori des kilomètres. Alors j’écris au présent et en italiques, les yeux fermés pour me revoir sur ces falaises du Célé et revivre la chaleur du soleil, la douleur de la jambe, la sueur sur mon front et la détermination dans mon esprit.
Ce jour-là j’ai rejoint Cabreret à Marcilhac-sur-Célé. Une étape rude pour ma jambe folle mais que je me suis autoriser à raccourcir à 14km. En shuntant le tracé du GR 651, qui impose une boucle de 7 km supplémentaires à forts dénivelés positifs et négatifs, boucle que je réduis à 3km de plat au final. De quoi économiser ma jambe pour les jours suivants, ce qui se sera avéré payant.
Arrivé à Marcilhac, je découvre un village inconnu pourtant doté d’un trésor : l’abbaye Saint Pierre se partage entre ses ruines impressionnantes et son église somptueuse. Posé hors du temps entre les murs frais, en cette chaude après-midi, je nourris ma récupération de ses 12 siècles d’histoire avant de reprendre le lendemain la route vers ma dernière étape… 

"Highness is bliss" GoPro2 - Olivier

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