lundi 17 décembre 2012

DERNIER JOUR DE MARCHE, JOUR 57 : OLVEIROA - FISTERRA



Finir le journal de cette aventure demandais calme et vide autour de moi. Depuis mon retour, qui n’en est pas vraiment un je m’en rends compte aujourd’hui, je n’avais pas réussi à trouver un peu d’isolement nécessaire à l’introspection. Ces moments sans course ni montre pour revivre les images et les sensations. Revivre mon arrivée, et la mettre en phrases sur cet écran.

Alors pour continuer l’expérience physique et émotionnelle du Chemin, je suis en retraite pour quelques jours à l’abbaye de Lérins, où l’ascèse et le silence du rite cistercien me laissent enfin le temps d’écrire et de penser…

"ARRIVEE"
Lundi 13 Aout
Temps de marche : 11h

« I’ve got this light, I’ll be around to grow,
Who I was before, I cannot recall…
Eddie Vedder – “Long nights”


3 heures du matin, j’ouvre les yeux dans le noir. Je ne saurai dire encore dans quel état d’esprit je sors du sommeil, mais immédiatement mes pensées annoncent à ma conscience l’inéluctable. Ce matin je vais sortir et marcher pour la dernière fois. C’est aujourd’hui. La voilà enfin cette dernière journée d’efforts, ce mélange de calcul et d’abandon aux kilomètres. C’est aujourd’hui que je marche vers Fisterra, la fin du monde et de ma route.

Malgré tout je ne change pas mes habitudes. Surement de peur que cette réalité ne se fasse trop matérielle et ne gâche le plaisir de croire qu’il y en a encore pour cent, mille ou dix mille kilomètres. Plier sac, ranger livre, caler trousse de toilette, et je sors sans un bruit de la chambrée de huit, entre pieds sales et ronflements ibériques, pour rejoindre mes compagnons de route devant le gite, au diapason de mon réveil.


"Last day"  - Ben , Rebecca, Max et moi...
Nous n’aurions pu, en partant pour cette dernière journée de marche en pleine nuit, imaginer qu’elle nous servirait ce qu’aucun d’entre nous n’avais eu à subir depuis ses premiers pas vers Compostelle : le déluge.
L’humidité épaisse de ce milieu de nuit et l’odeur iodée de l’air annonçaient la proximité de l’océan. Encore une grosse trentaine de kilomètres et le relief passerait sous le niveau de la mer, là nos pas s’arrêteraient pour de bon.
Dès les premiers kilomètres une pluie fine se fait persistante, imprégnant chaque parcelle de tissu. Les « rain cover » de nos sacs n’y peuvent rien et je m’inquiète de l’état de mon matériel, on verra. 

Malgré tout la température nocturne d’aout est clémente et ne donne pas le frisson, et durant la première heure de marche nous rions finalement de ces gouttes peu menaçantes. Nous passons par de sombres villages, comme des fantômes sous capuches entre les maisons, sautant de routes en trottoirs sous des nuages encore masqués par la nuit. Une fois sortis des routes, nous abordons vers 5 heures du matin un chemin montant et perdu, annonciateur des collines menant à l’atlantique. A peine les pentes abordées nous entrons dans un épais brouillard, et nous passons dès lors presque 3 heures sous une pluie toujours plus intense, qui refroidit drastiquement l’atmosphère. Au milieu de la nuit, noyés dans un voile blanc absolu contre lequel les frontales ne peuvent rien, nous sommes perdus, isolés les uns des autres, et sans aucun moyen de repère. Visibilité à un mètre tout au plus, voilà que les minutes s’allongent et que les doutes s’installent. J’exulte. Je suis seul, aveugle et transi, mais j’adore ça. C’est pour le chemin de Compostelle le moment ou jamais de me manger, et de ne jamais me rendre à la réalité, je le souhaite tellement que j’en savoure chaque pas, chaque frisson, chaque goutte de pluie…


"Sleepless in Cabo Fisterra"
Après un temps incalculable, je distingue des angles de murs en dévalant une colline abrupte, roulant sur les roches qui se détachent sous la pluie torrentielle. C’est là que sans crier gare une route bitumée s’ouvre à moi et me mène en un virage vers mes compagnons. Nous sommes à Fisterra, la ville portuaire prenant forme sous le jour naissant. Hébétés après trois heures passées sous des trombes d’eau, nous faisons une pause au gite du coin, qui accepte gentiment de sécher nos affaires. Le temps d’un petit déjeuner en ville, au milieu des urbains qui embauchent, et forces reprises nous repartons sous une pluie toujours battante. C’est la dernière ligne droite vers la petite ville ancienne de Cap Finisterre. Allez, encore deux ou trois heures de marche sous la pluie, cela ne fait plus de différence, nous sommes si près du but.

Mes pas deviennent légers, alors que la journée avance et que l’air humide s’échauffe. La pluie laisse place à un voile d’embruns, et une longue plage déserte disparait sous une mer calme. La petite ville de Cap Finisterra est au bout de cette plage, station balnéaire et marine, derrière laquelle pointe le phare du Cap. C’est là qu’il faut monter, pousser 3 km jusqu’à la falaise et se laisser aller enfin…

"La fin du Monde"...
Une heure plus tard, la ville est derrière moi. J’avance mais ne vois que des flashs, comme des instantanés. Mes compagnons sont à distance, des gens vont et viennent sur la corniche mais je ne les entends plus. Dans le brouillard je passe au ralenti une borne kilométrique, puis le phare. Enfin la falaise quelques mètres plus loin. Je suis à son bord, et je fixe mes pieds. Longuement. Voici la fin du monde, et ils se sont arrêtés de marcher. Alors je m’assois sur un rocher, le vide et l’Atlantique face à moi, et dans le vent je ne comprends pas l’instant. Je suis arrivé, je ne peux pas aller plus loin. Le temps change de visage quand il se soumet à notre volonté, il fut un étrange compagnon de voyage. Je ne sais pas si je suis resté 1minute ou 1 heure assis là, incapable d’analyser mes sentiments. Je ne sais qu’une chose, cet instant qui me dépasse met fin au voyage, il fait désormais partie de moi et détermine ce que je serai à présent. J’ai marché le pèlerinage de St Jacques de Compostelle, sur 1700km je suis allée au bout du monde, je suis allé au bout de moi-même. Le temps peut bien me prendre, il ne prendra jamais cet instant…

Je fais demi-tour, et je reprends le chemin vers ma vie d’avant. Est-ce si grave finalement ? Je ne suis que ce que j’étais déjà. Mais il y a quelque chose de plus, quelque chose de changé, de retrouvé, de transformé, je ne sais pas. Pas encore. Je dois laisser maintenant l’analyse se faire, et calculer en moi le poids de cette aventure. Pour le moment je me sens étrange, allégé et en même temps vaguement désoeuvré.


"0.00 KM"

En remontant la cinquantaine de mètres de voie piétonne qui passe devant le phare je croise de l’œil cette borne kilométrique, que je n’avais pas osé fixer en me dirigeant vers la falaise. 

Je m’approche et m’agenouille à son niveau pour mieux comprendre les symboles qui y sont incrustés. « 0.00 KM ». 





A nouveau, mais par un sentiment différent qu’à Santiago, je m’écroule et pleure ce qu’il reste de volonté, d’énergie et de doutes sur ma venue ici. 
Je pleure car le pèlerin redevient un homme normal. Un homme qui prendra demain une route bien plus habituelle, celle du retour chez lui…

3 commentaires:

  1. Bonsoir Olivier
    Même plaisir à lire la fin de ton aventure et quelle aventure !!!
    Ta dernière photo exprime beaucoup... une grande partie de ce que tu as pu vivre tout au long de cette route, encore toutes mes félicitations !!! une fois n'est pas coutume lol !!!
    Un réel plaisir aussi de t'avoir vu chez Marquis le jour où l'on "m'encrait" Dali ^^
    Bonnes Fêtes de fin d'année et à une prochaine fois...

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    1. Bonjour ça y est oui je fait le lien avec le "boulot" à Lyon ! Merci de toutes tes pensées ici, au plaisir de te croiser en ville ou ailleurs...

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  2. hasta la vista hasta luego ou adios ce sera ce que la vie en décidera
    bisous
    Anne

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