vendredi 15 août 2014

JOUR 6 VALLEE DU CELE : VERS - CABRERET

Me voici rentré depuis 3 jours, avec les rares accès à Internet dans les villages-étapes je n'ai pas pu poster les articles en temps réel. Je mets donc le journal à jour en décalage. Et la tendinite dont je parle ici s'est révélée être un claquage du jambier bien appuyé des 100km sur lesquels je l'ai emmené par la suite...

24km - Temps de marche : 7h

« We must suffer to free our pain,
Can you help us to find our way…
Fields of the Nephilim – “And there will your heart be also”


"Foggy morning" - GoPro 2 - Olivier


« CHEMIN DE CROIX »
Un bout de chemin sans croiser personne, et pourtant je n’étais pas seul. Celle qu’il ne faut pas inviter lorsqu’on part avec un sac sur le dos pour Compostelle s’est rappelée à mon bon souvenir depuis hier. Je pensais pourtant avoir évité son regard, avoir brouillé les pistes derrière moi pour m’assurer de ne pas avoir à payer de ma personne le prix de ce mini-pèlerinage de quelques jours. Je pensais que mon expérience de pèlerin m’affranchissait de tout risque de la revoir en route…

Mais malgré toute ma prudente attention, elle s’est abattue sur moi. Et c’est par le bas du fléchisseur du pied droit, le muscle « jambier » attaché au tibia, qu’elle s’est accrochée à ma route, augmentant la difficulté du relief pour la journée. Elle, c’est une tendinite de la plus belle espèce, qui cisaille le membre, sape le moral, et détourne l’attention en prenant la première place devant le plaisir d’une belle journée de marche en pleine nature.

Encore une fois le Chemin me donne une leçon d’humilité. Ce n’est pas parce qu’on a parcouru 1700km il y a quelques temps qu’on s’achète à vie l’immunité articulaire. Et voilà, malgré mon expérience passée je me colle une tendinite là où je ne l’attendais pas. Pourtant j’avais bien calculé mon début de parcours, avec une première journée de 23km seulement. Je m’étais donc forcé à m’arrêter à Lacapelle-Marival en ce jour de reprise de marche, en compensant la frustration de cet arrêt par la fierté d’avoir été raisonnable.

Alors où donc était mon erreur ? Peut-être en partant dès le 2eme jour pour une étape de 36km vers Rocamadour, que la plupart des pèlerins font en deux jours ? Possible, mais je ne pense pas que se trouve là la raison de ma punition.

"Chemin de Croix" - Rocamadour
En analysant ce qui a pu me mener à la tendinite, je ne peux m’empêcher de penser à la disposition si spécifique de Rocamadour. La ville est sur 3 niveaux verticaux bien distincts : la rue commerçante en bas, le Sanctuaire au milieu et le Château au sommet. La ville se visite donc d’un niveau à l’autre en empruntant une rampe piétonne abrupte en lacets, qui se parcoure de haut en bas en 15 minutes environ. 



Et je pense que c’est là que mon tendon a abandonné la lutte : à froid et déjà fatigué des 36 kilomètres du jour, à peine réhabitué à la marche, il a dû subir en fin de journée les montées/descentes successives entre mon gite au sommet, le Sanctuaire et la rue commerçante où se trouve les restaurants du soir.

Je paye aujourd’hui le prix de ma visite, celui de mon empressement à abattre des kilomètres, celui de mon orgueil à croire que l’ancienneté nous affranchis des erreurs de la route. C’est un rappel à la chair, qui s’adapte à tout mais qui montre aussi les limites que notre esprit n’accepte pas.

Ce chemin de Rocamadour est justement nommé « Chemin de Croix », un parallèle bien trouvé entre l’hommage liturgique et la réalité physique de son relief. Alors aujourd’hui, de nouveau perdu sur des chemins chaotiques, entre ciel et terre sur les falaises du Lot et du Célé, je parcours un nouveau chemin de Croix, un de plus après celui d’il y a deux ans. La douleur de ma jambe, si elle transforme le plaisir cristallin de la marche en savant calcul pour économiser mon corps, est une forme de pénitence.
Et comme il y a deux ans je l’accueille sans regrets, sans frustration, avec humilité et reconnaissance. La rejeter serait lutter contre un courant trop fort, et subir la douleur lui donne un pouvoir sur la volonté qui peut nous pousser à l’abandon. Alors il faut doser mais marcher encore, au risque de perdre l’équilibre entre succès et blessure fatale. Cette pénitence, sans laquelle la marche vers Compostelle ne serait pas ce qu’elle est, est celle qui demande au corps et à l’esprit de travailler en équipe pour que l’un supporte l’autre vers le repos du gite.

Alors je monte et descends ce relief ombragé et caillouteux, le regard au loin, la douleur contenue jusqu’à mon arrivée. Le constat médical sera pour plus tard, je ne m’arrêterai ni aujourd’hui ni demain, car cette fois encore j’irais au bout de mon Chemin…

"Chacun son chemin" Bonne route à toi JB.

 



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